La récente visite du Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko au Burkina Faso, les 17 et 18 mai 2025, représente bien plus qu’une simple démarche diplomatique ; elle marque un véritable tournant stratégique dans la politique étrangère du Sénégal et pourrait redéfinir la dynamique géopolitique de l’Afrique de l’Ouest. Cette approche s’inscrit dans la vision de « rupture » portée par la nouvelle administration Faye-Sonko, s’étendant désormais aux relations internationales du pays.

Au cœur de cette réorientation se trouve un engagement profond envers le panafricanisme et la souveraineté. La participation de Sonko à l’inauguration du Mausolée Thomas Sankara n’était pas un acte anodin. En rendant hommage à ce « leader révolutionnaire emblématique » et « symbole des luttes panafricanistes », le Sénégal s’est délibérément aligné sur une idéologie qui résonne fortement avec celle des pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) – le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Ce rapprochement idéologique transcende les différences de modèles de gouvernance, unissant le Sénégal démocratique aux juntes militaires de l’AES autour de principes partagés de rejet des « diktats extérieurs » et d’affirmation de l’autonomie africaine.

L’annonce la plus retentissante de cette visite a été la décision du Sénégal de retirer toutes les bases militaires étrangères de son sol d’ici juillet 2025. Cette déclaration, faite de manière significative à la télévision nationale burkinabè, n’est pas seulement une affirmation de souveraineté ; elle est un défi direct aux héritages coloniaux et aux dépendances militaires existantes. En emboîtant le pas aux pays de l’AES qui ont déjà expulsé les troupes étrangères, le Sénégal se positionne comme un leader potentiel d’un mouvement plus large vers l’autodétermination africaine en matière de sécurité. Cette démarche audacieuse signale un changement fondamental dans l’architecture de sécurité régionale, favorisant des solutions « dirigées par l’Afrique ».

La visite a également révélé une position nuancée du Sénégal face aux tensions régionales. Bien que membre de la CEDEAO, Dakar a exprimé de vives critiques à l’égard de certaines de ses décisions passées, notamment les sanctions contre le Mali. Simultanément, le Sénégal renforce ses liens bilatéraux avec les États de l’AES et aspire à jouer un rôle de médiateur crucial entre les deux blocs. Ce positionnement stratégique vise à combler le vide diplomatique, faisant du Sénégal un acteur potentiellement indispensable à toute réconciliation régionale future.

Cependant, cette nouvelle politique n’est pas sans risques. Sur le plan intérieur, l’alignement avec des régimes militaires suscite le mécontentement des éléments pro-occidentaux et pose la question de la cohérence entre l’identité démocratique du Sénégal et ses aspirations panafricanistes. Sur la scène internationale, cette approche pourrait tendre les relations avec les alliés traditionnels et intensifier une « bataille narrative » pour l’influence en Afrique de l’Ouest. Le succès à long terme de cette stratégie dépendra de la capacité du Sénégal à obtenir des résultats concrets en matière de sécurité et de développement, sans compromettre sa stabilité démocratique ou aliéner un soutien international crucial.

En fin de compte, le Sénégal tente de tracer une « troisième voie » pour l’intégration régionale, combinant son appartenance à la CEDEAO avec des liens idéologiques et pratiques solides avec l’AES. Cette approche pourrait soit servir de pont pour réconcilier les blocs, soit évoluer vers un tout nouveau modèle de coopération ouest-africaine, signalant un avenir plus fluide et multipolaire pour la région. Les enjeux sont élevés, et la démarche du Sénégal est observée de près par toutes les parties.