Alliance du Sahel vs. CEDEAO : La fracture ouest-africaine et ses répercussions
La scène politique ouest-africaine est en pleine mutation. L’annonce du retrait formel du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), effective au 29 janvier 2025, marque une fracture sans précédent dans la région. Ces trois pays, désormais unis au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), contestent la direction prise par la CEDEAO, créant une dynamique aux conséquences profondes pour la sécurité, l’économie et la géopolitique de l’Afrique de l’Ouest.
Une rupture née de divergences profondes
Au cœur de cette scission se trouve la politique de la CEDEAO de « zéro tolérance face aux changements anticonstitutionnels de gouvernement ». Après les coups d’État militaires successifs au Mali (2020, 2021), au Burkina Faso (2022) et au Niger (2023), la CEDEAO a imposé des sanctions économiques sévères et brandi la menace d’une intervention militaire, notamment au Niger. Ces mesures, perçues par les dirigeants de l’AES comme une ingérence et un manque de soutien face aux défis sécuritaires internes, ont alimenté le ressentiment.
L’AES accuse la CEDEAO de s’être « éloignée des idéaux de ses pères fondateurs et de l’esprit du panafricanisme », la jugeant sous l’influence de « puissances étrangères », en particulier la France. Pour les pays de l’AES, la CEDEAO n’a pas apporté le soutien nécessaire dans leur lutte contre le terrorisme et l’insécurité, préférant des sanctions jugées « illégales, illégitimes, inhumaines et irresponsables ».
Chronologie d’une désunion
La tension a culminé avec la formation de l’AES le 16 septembre 2023 en tant que pacte de défense mutuelle, en réponse directe aux menaces d’intervention de la CEDEAO. Après plusieurs mois de négociations et le rejet par l’AES d’une période de transition proposée par la CEDEAO, le retrait formel a été annoncé fin janvier 2024, pour une effectivité un an plus tard. Parallèlement, l’AES a finalisé en juillet 2024 les plans de création d’une confédération des États du Sahel, unifiant davantage leurs efforts.
Malgré cette rupture, des signes d’apaisement diplomatique ont émergé. En février 2025, la CEDEAO a levé certaines sanctions contre l’AES (et la Guinée-Bissau et la Guinée), évoquant des raisons humanitaires et un geste d’apaisement. Plus récemment, en mai 2025, des consultations entre les ministres des Affaires étrangères de l’AES et le président de la Commission de la CEDEAO ont abouti à un accord pour lutter conjointement contre l’insécurité, témoignant d’une volonté de coopération sur des enjeux communs.
Implications sécuritaires, économiques et géopolitiques
La fracture entre l’AES et la CEDEAO engendre des répercussions majeures :
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Sécurité : La coordination régionale contre les groupes jihadistes est affaiblie, risquant d’intensifier les conflits asymétriques et de favoriser le débordement de l’instabilité vers les États côtiers. L’absence d’une réponse unifiée est une aubaine pour ces groupes.
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Économie : Le retrait des pays de l’AES perturbe gravement le commerce transfrontalier, les transactions financières et la libre circulation des personnes. Les nations de l’AES, enclavées, pourraient faire face à une plus grande isolation économique, tandis que les États côtiers de la CEDEAO (comme le Sénégal et le Nigéria) voient leurs routes commerciales traditionnelles impactées. La vision d’un marché unique ouest-africain est désormais compromise.
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Géopolitique : Cette scission entraîne un réalignement des alliances. Les pays de l’AES se tournent vers de nouveaux partenaires, notamment la Russie (via des entités comme Africa Corps, ex-Groupe Wagner) et la Chine, qui propose un cadre de coopération axé sur la souveraineté et la non-ingérence. L’influence de la France, perçue comme un acteur néocolonial, a fortement diminué, et les États-Unis voient leurs options stratégiques limitées en raison des restrictions liées aux coups d’État. Cette situation affaiblit la crédibilité de la CEDEAO en tant qu’acteur régional et complexifie l’agenda d’intégration de l’Union Africaine (UA).
Un avenir incertain mais des ponts subsistent
L’avenir des relations entre l’AES et la CEDEAO reste incertain. Si la fracture institutionnelle est réelle, la nécessité de faire face à des défis communs, notamment l’insécurité et le développement économique, pourrait forcer les deux blocs à maintenir un dialogue pragmatique. Les récents gestes de coopération sur la sécurité en sont un exemple.
Cependant, le risque de fragmentation régionale persiste. La CEDEAO est confrontée à la nécessité de repenser son approche face aux changements anticonstitutionnels et aux aspirations des populations à une plus grande souveraineté, tandis que l’AES doit prouver sa capacité à offrir une alternative viable en matière de sécurité et de développement à ses citoyens. L’équilibre entre souveraineté nationale et intégration régionale sera la clé pour l’avenir de l’Afrique de l’Ouest.