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Un vent de changement souffle sur la diplomatie sénégalaise. L’élection de Bassirou Diomaye Faye, portée par un projet de « rupture » et incarnée par la figure charismatique de son Premier ministre Ousmane Sonko, ne se limite pas à des réformes intérieures. Elle redessine en profondeur la manière dont le Sénégal interagit avec le monde. Fini le temps des alignements hérités de l’histoire ; place à un pragmatisme décomplexé, guidé par la défense acharnée des intérêts nationaux et une vision résolument panafricaniste. Dans ce grand échiquier mondial en pleine recomposition, un mouvement en particulier attire l’attention des chancelleries : le renforcement de l’axe Dakar-Moscou.Ce rapprochement n’est pas une simple continuité, mais bien une accélération stratégique. Pour la nouvelle administration sénégalaise, la Russie n’est plus seulement un partenaire économique ou sécuritaire ; elle devient une pièce maîtresse dans une nouvelle vision du monde, un monde multipolaire où l’Afrique entend jouer sa propre partition. Le dialogue avec Moscou est perçu comme un levier essentiel pour équilibrer les relations avec les partenaires occidentaux traditionnels et affirmer la souveraineté africaine sur la scène internationale.

Cette analyse plonge au cœur de la nouvelle doctrine diplomatique du Sénégal. Notre promesse : décrypter en détail comment et pourquoi le gouvernement Faye-Sonko fait du partenariat avec la Russie un pilier de sa politique étrangère. Nous explorerons les fondements idéologiques de cette « rupture tranquille », les intérêts stratégiques qui la sous-tendent, et la manière dont Dakar gère ce délicat exercice d’équilibriste. Bienvenue dans les coulisses de la diplomatie d’un Sénégal qui refuse d’être un pion et choisit de devenir un joueur.

1. « La Rupture Tranquille » : Anatomie de la Nouvelle Doctrine Diplomatique Sénégalaise

L’arrivée au pouvoir du Président Diomaye Faye ne marque pas une révolution, mais une évolution profonde, une « rupture tranquille ». La nouvelle politique étrangère du Sénégal s’articule autour de principes clairs, martelés durant la campagne et mis en œuvre dès les premières semaines du mandat.

Les Piliers de la Souveraineté

Cette doctrine repose sur un triptyque fondamental :

  • La Souveraineté : Le Sénégal entend décider par lui-même de ses alliances et de ses politiques, sans ingérence extérieure. Cela implique la révision d’accords jugés déséquilibrés, qu’ils soient économiques, monétaires ou militaires.
  • Le Panafricanisme : La diplomatie sénégalaise se veut d’abord au service de l’Afrique. L’intégration sous-régionale (CEDEAO) et continentale (Union Africaine) est une priorité absolue. Dakar aspire à parler d’une voix forte pour le continent.
  • Les Partenariats Gagnant-Gagnant : Fini le temps de la « Françafrique » ou des relations asymétriques. Le Sénégal cherche des partenaires, et non des tuteurs. Chaque accord doit être évalué à l’aune des bénéfices concrets pour le peuple sénégalais.

La « Rupture Tranquille » en une phrase : Il ne s’agit pas de rompre avec les partenaires historiques, mais de mettre fin à l’exclusivité et à la complaisance pour s’ouvrir à tous les acteurs mondiaux sur la base unique des intérêts du Sénégal.

Cette approche pragmatique et décomplexée change fondamentalement la donne. Elle explique pourquoi le Sénégal peut, le même mois, discuter de coopération sécuritaire avec la France et signer de nouveaux accords économiques avec la Russie ou la Chine. Ce n’est pas de l’incohérence, c’est l’application d’une doctrine de souveraineté active.

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2. Pourquoi Moscou ? Les Raisons d’un Rapprochement Stratégique sur l’Axe Dakar-Moscou

Dans cette nouvelle configuration, l’axe Dakar-Moscou devient un pilier central. Le rapprochement avec la Russie n’est pas seulement circonstanciel ; il répond à des objectifs stratégiques bien précis de la nouvelle administration sénégalaise.

Un Partenaire du Monde Multipolaire

La Russie est l’un des principaux promoteurs d’un « ordre mondial multipolaire », une vision qui s’oppose à l’hégémonie occidentale de l’après-Guerre Froide. Ce discours trouve un écho très favorable auprès des nouvelles autorités de Dakar. Pour le Sénégal, un monde avec plusieurs pôles de puissance (USA, Chine, Russie, Europe, Inde…) est un monde où les pays africains ont plus d’options, plus de leviers et plus d’espace pour affirmer leur autonomie.

Un Levier de Rééquilibrage

Renforcer les liens avec Moscou offre au Sénégal un formidable contrepoids dans ses discussions avec ses partenaires occidentaux. En démontrant qu’il dispose d’alternatives crédibles, que ce soit pour l’achat de blé, d’équipements militaires ou pour le soutien diplomatique au Conseil de Sécurité de l’ONU, Dakar augmente son pouvoir de négociation avec Paris, Washington et Bruxelles.

Type de Partenariat Attentes envers les Partenaires Occidentaux (UE, USA) Attentes envers les Partenaires Émergents (Russie, Chine)
Politique Respect de la démocratie, aide au développement, soutien institutionnel. Soutien au non-alignement, contrepoids diplomatique, non-ingérence.
Économique Investissements directs étrangers, accès aux marchés, transferts de technologies. Fourniture de matières premières critiques (blé), financement d’infrastructures.
Sécuritaire Formation technique, équipement de haute technologie, renseignement. Équipement robuste et abordable, coopération anti-terroriste pragmatique.

Ce tableau montre que le Sénégal ne cherche pas à remplacer un bloc par un autre, mais à construire un portefeuille de partenariats diversifié où chaque acteur apporte une valeur ajoutée spécifique.

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3. Le Délicat Exercice de l’Équilibriste : Gérer les Partenariats avec l’Occident

Cultiver l’axe Dakar-Moscou tout en préservant des relations solides avec les partenaires occidentaux historiques est un exercice de haute voltige diplomatique. Le gouvernement de Diomaye Faye marche sur une corde raide, cherchant à maximiser les bénéfices de chaque côté sans s’aliéner personne.

Avec la France : De la « Françafrique » au « Face-à-Face »

La relation avec la France est la plus complexe, chargée d’histoire et d’affect. La nouvelle administration ne cherche pas la confrontation, mais la clarification. La renégociation annoncée des accords de défense et des conventions fiscales vise à établir une relation d’égal à égal. Le message envoyé à Paris est clair : « Nous sommes des partenaires, plus des protégés. » Cette fermeté est rendue plus crédible par l’existence d’alternatives, notamment russe.

Avec les États-Unis : Démocratie et Désaccords

Avec Washington, le Sénégal partage des valeurs démocratiques, ce qui constitue un socle solide. Cependant, des divergences apparaissent sur les grandes questions géopolitiques, comme le conflit en Ukraine. Le Sénégal doit constamment rassurer les États-Unis sur le fait que son rapprochement avec Moscou n’est pas un alignement idéologique, tout en défendant son droit souverain à la neutralité.

Le risque majeur : Un faux pas diplomatique pourrait être très coûteux. Une perception par Washington que le Sénégal bascule trop du côté russe pourrait entraîner des pressions diplomatiques, voire économiques, notamment via la révision de programmes d’aide comme ceux de l’USAID ou du Millenium Challenge Corporation (MCC).

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4. Le Cas d’École Ukrainien : Le Non-Alignement Actif du Sénégal à l’ONU

La position du Sénégal face à la guerre en Ukraine est sans doute l’illustration la plus parfaite de sa nouvelle doctrine diplomatique. Depuis le début du conflit, Dakar a adopté une posture de non-alignement actif, refusant de choisir un camp et appelant constamment à une solution négociée.

Cette position se traduit par des votes d’abstention répétés lors des résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies condamnant l’invasion russe. Pour l’Occident, cette posture est perçue comme un soutien tacite à Moscou. Mais pour Dakar, la justification est tout autre :

  • Refus d’importer les conflits : Le Sénégal et l’Afrique ont leurs propres urgences sécuritaires et ne souhaitent pas être entraînés dans des querelles qui ne sont pas les leurs.
  • Principe de neutralité : Pour pouvoir jouer un rôle de médiateur potentiel, il est essentiel de ne pas prendre parti.
  • Mémoire historique : De nombreux pays africains se souviennent du soutien de l’URSS aux mouvements de libération nationale et sont réticents à condamner unanimement la Russie.

Positionnement du Sénégal sur l’Axe Géopolitique (Guerre en Ukraine)

Bloc Occidental (Soutien à l’Ukraine)
Bloc Russe (Soutien à la Russie)

Sénégal (Non-Aligné)

Le Sénégal se positionne délibérément au centre, cherchant à maintenir le dialogue avec les deux blocs.

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5. Au-delà de la Diplomatie : L’Avenir de l’Axe Dakar-Moscou (BRICS+, Énergie)

L’axe Dakar-Moscou n’est pas figé ; il a le potentiel de se développer bien au-delà de son cadre actuel, notamment dans les domaines économiques et énergétiques qui sont au cœur du projet de développement du Sénégal.

L’Appel des BRICS+

L’élargissement du groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) à de nouveaux membres (BRICS+) en fait un pôle économique et politique majeur, représentant une part croissante du PIB mondial. Pour le Sénégal, devenir un « pays partenaire » ou, à terme, un membre des BRICS+, serait la consécration de sa stratégie multipolaire. C’est une perspective que Dakar regarde avec le plus grand intérêt, et Moscou est l’un des principaux avocats de cet élargissement.

Le Partenariat Énergétique

Le Sénégal est récemment devenu un pays producteur de pétrole et de gaz. Cette nouvelle donne ouvre des perspectives de coopération immenses. La Russie, avec ses géants énergétiques comme Gazprom et Rosneft, possède une expertise mondialement reconnue dans l’exploitation, la transformation et la commercialisation des hydrocarbures. Un partenariat stratégique dans ce secteur pourrait permettre au Sénégal de maximiser les retombées de ses nouvelles richesses.

Vision d’avenir : En s’arrimant à des blocs comme les BRICS+ et en développant des partenariats énergétiques avec la Russie, le Sénégal pourrait accélérer son développement et renforcer son poids sur la scène internationale, devenant un modèle pour d’autres nations africaines.

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6. Les Architectes de la Vision : Faye, Sonko et la « Diplomatie des Patriotes »

Cette nouvelle orientation diplomatique n’est pas le fruit du hasard. Elle est portée par un duo au sommet de l’État avec des rôles complémentaires.

Bassirou Diomaye Faye, en tant que Président de la République, incarne la légitimité institutionnelle. Il est le visage de la stabilité et de la continuité de l’État. Ses déplacements et ses rencontres officielles donnent le cap, rassurent les partenaires et formalisent les grandes orientations.

Ousmane Sonko, comme Premier ministre et leader politique charismatique, est souvent perçu comme l’idéologue et l’accélérateur de la « rupture ». Son discours, plus direct et ancré dans une rhétorique panafricaniste et souverainiste, définit le cadre théorique de la nouvelle politique étrangère. C’est lui qui verbalise le plus clairement la volonté de rééquilibrage.

Ensemble, ils forment un tandem efficace qui permet de mener une « diplomatie des patriotes » : ferme sur les principes de souveraineté, mais pragmatique dans l’exécution. L’axe Dakar-Moscou est l’une des illustrations les plus claires de cette vision à deux têtes.

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7. FAQ : 10 Questions pour Comprendre la Politique Étrangère du Sénégal

1. La politique de Diomaye Faye est-elle anti-française ou anti-occidentale ?

Non. Les autorités sénégalaises la définissent comme « pro-Sénégal ». L’objectif n’est pas d’être « anti- » quiconque, mais de mettre fin à des relations jugées asymétriques. La France et l’Occident restent des partenaires importants, mais ils ne sont plus les partenaires exclusifs. La relation doit être basée sur le respect mutuel et des intérêts partagés.

2. Le Sénégal va-t-il rejoindre les BRICS+ ?

C’est une possibilité sérieusement envisagée à moyen ou long terme. Pour le moment, le Sénégal pourrait chercher à obtenir un statut de « pays partenaire » pour participer aux sommets et renforcer ses liens économiques. Une adhésion pleine et entière serait une étape majeure, alignée avec la vision d’un monde multipolaire.

3. Quel est le rôle exact d’Ousmane Sonko dans la diplomatie ?

En tant que Premier ministre, il dirige l’action du gouvernement, y compris celle du ministre des Affaires étrangères. Il est considéré comme le principal architecte idéologique de la nouvelle doctrine. Ses discours donnent le ton et la direction, tandis que le Président Faye et la ministre des Affaires étrangères mettent en œuvre la politique au quotidien.

4. Le Sénégal risque-t-il des sanctions américaines à cause de ses liens avec la Russie ?

Le risque existe, notamment via la loi CAATSA qui cible les clients de l’industrie de défense russe. Cependant, le Sénégal maintient une coopération sécuritaire avec les USA et joue un rôle clé dans la stabilité régionale. Washington pourrait donc faire preuve de pragmatisme pour ne pas perdre un allié démocratique stable. C’est un jeu d’équilibre délicat pour les deux parties.

5. Pourquoi le Sénégal ne condamne-t-il pas l’invasion de l’Ukraine ?

Le Sénégal condamne la guerre et la perte de vies humaines, mais refuse de prendre parti en condamnant unilatéralement la Russie. Cette position de « non-alignement » vise à préserver sa neutralité pour potentiellement jouer un rôle de médiateur et à ne pas s’aliéner un partenaire stratégique (la Russie) pour ses approvisionnements en blé et sa coopération sécuritaire.

6. Cette nouvelle politique est-elle populaire au Sénégal ?

Oui, le discours souverainiste et panafricaniste porté par le duo Faye-Sonko jouit d’un très fort soutien populaire, notamment auprès de la jeunesse. L’idée de voir le Sénégal parler d’égal à égal avec les grandes puissances et défendre ses propres intérêts est un moteur puissant d’adhésion.

7. Quels autres pays africains suivent une voie similaire ?

Plusieurs pays africains cherchent à diversifier leurs partenariats, mais le Sénégal se distingue par son approche. Contrairement à certains pays du Sahel qui ont rompu brutalement avec la France pour se tourner quasi exclusivement vers la Russie, le Sénégal prône un rééquilibrage beaucoup plus nuancé, en maintenant le dialogue avec tous.

8. La monnaie (Franc CFA) est-elle menacée par cette nouvelle politique ?

La question d’une réforme ou d’une sortie du Franc CFA était un point central du programme de Pastef. La nouvelle administration a promis une réforme monétaire, mais de manière concertée et progressive au sein de l’UEMOA. C’est un sujet complexe qui s’inscrit dans la logique de souveraineté mais qui sera mené avec prudence pour éviter un choc économique.

9. Quel est l’impact de cette politique sur la CEDEAO ?

Le Sénégal, sous la direction de Diomaye Faye, souhaite renforcer la CEDEAO et jouer un rôle de premier plan pour résoudre les crises régionales, notamment avec les pays de l’AES (Mali, Burkina, Niger). La diplomatie sénégalaise œuvre pour éviter la fracture et ramener ces pays au sein de l’organisation.

10. L’axe Dakar-Moscou est-il une alliance idéologique ?

Non, c’est une alliance purement pragmatique et stratégique. Elle n’est pas basée sur une adhésion au modèle politique russe, mais sur une convergence d’intérêts : la promotion d’un monde multipolaire, la recherche d’un contrepoids à l’influence occidentale, et des bénéfices mutuels dans les domaines économique et sécuritaire.

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Conclusion : Le Sénégal, Acteur de son Destin

L’axe Dakar-Moscou, bien plus qu’une simple relation bilatérale, est le symptôme et le symbole d’une transformation profonde de la posture du Sénégal sur la scène mondiale. Sous l’impulsion du président Bassirou Diomaye Faye, le pays ne se contente plus de subir l’ordre international ; il cherche à le façonner à son avantage, avec pour seules boussoles sa souveraineté et les intérêts de son peuple.

Ce chemin de l’équilibriste est exigeant et semé d’embûches. Mais il est aussi porteur d’une promesse : celle d’un Sénégal maître de ses choix, respecté pour sa cohérence, et capable de dialoguer avec tous les pôles de puissance pour construire son avenir. Dans le grand jeu mondial, le Sénégal a décidé de ne plus être une carte, mais bien un joueur à part entière.

 

 


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