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L’entrée du Sénégal, entre 2024 et 2025, dans le cercle des pays producteurs d’hydrocarbures constitue un moment géopolitique charnière, marquant un changement profond dans sa posture économique et stratégique. Cette transition, porteuse de promesses de développement sans précédent, inaugure également une ère de complexité et de tensions. Au cœur de cette nouvelle réalité se trouvent des frictions fondamentales : un nouveau gouvernement, fort d’une légitimité populaire et d’une rhétorique souverainiste, se confronte à des contrats internationaux établis ; la promesse d’une souveraineté économique se heurte aux réalités de la finance mondiale et du pouvoir des grandes entreprises ; et le dilemme classique de la « malédiction des ressources » plane sur l’avenir de la nation. La géopolitique « cachée » des hydrocarbures sénégalais ne réside pas tant dans les gisements eux-mêmes que dans l’interaction complexe entre la légitimité politique intérieure, les rivalités internationales et les cadres juridiques conçus pour arbitrer ces forces. Ce rapport se propose de décrypter cette dynamique invisible, en analysant les forces sous-jacentes qui façonneront le destin énergétique du Sénégal.

 

Anatomie de la Rente Sénégalaise : Un Portefeuille d’Actifs Stratégiques

 

Pour comprendre les enjeux géopolitiques, il est impératif de cartographier précisément les actifs qui sont au cœur de la compétition. L’échelle et la nature de ces projets déterminent les intérêts et les stratégies de chaque acteur, qu’il soit étatique ou privé.

 

Plongée au Cœur des Projets : Sangomar, Grand Tortue Ahmeyim (GTA) et Yakaar-Teranga

 

Le portefeuille sénégalais se distingue par sa diversité, incluant un projet pétrolier souverain, un méga-projet gazier transfrontalier et un gisement de gaz domestique de classe mondiale, chacun présentant des caractéristiques techniques, financières et politiques uniques.

Sangomar (Pétrole) : Premier projet pétrolier offshore du Sénégal, Sangomar est devenu le symbole de l’entrée du pays dans l’ère des hydrocarbures avec l’extraction du premier baril en juin 2024. Opéré par la société australienne Woodside Energy, le champ est situé à environ 100 kilomètres au sud de Dakar, dans des profondeurs d’eau variant de 700 à 1,400 mètres. La première phase du développement, dont le coût est estimé entre 4,9 et 5,2 milliards de dollars US , cible des réserves récupérables de 231 millions de barils de pétrole. La production est assurée par une unité flottante de production, de stockage et de déchargement (FPSO) baptisée

Léopold Sédar Senghor, capable de traiter 100 000 barils par jour (b/j). Le brut produit est un pétrole léger de haute qualité, avec une densité d’environ 31° API, très prisé sur les marchés européens et asiatiques. Les premières cargaisons ont d’ailleurs été vendues en Chine et en Europe. Une part de cette production est également destinée au marché local, livrée à la Société Africaine de Raffinage (SAR) en vertu d’une Obligation d’Approvisionnement Domestique (Domestic Supply Obligation), marquant une première étape vers la valorisation locale des ressources.

Grand Tortue Ahmeyim (GTA) (Gaz) : Projet gazier d’envergure, GTA est une entreprise transfrontalière complexe, à cheval sur la frontière maritime entre le Sénégal et la Mauritanie, et opérée par le géant britannique BP. Son architecture est innovante : un système de production sous-marin en eaux ultra-profondes alimente un FPSO situé en moyenne profondeur qui traite le gaz avant de le transférer vers une unité flottante de gaz naturel liquéfié (GNL), le

Gimi, ancrée près des côtes. La phase 1 du projet est conçue pour produire environ 2,5 millions de tonnes de GNL par an (mtpa). Le « premier gaz » a été atteint fin 2024, suivi par la première production de GNL début 2025, marquant l’entrée conjointe des deux pays sur le marché mondial du GNL. Les ressources totales du champ sont estimées à environ 15 billions de pieds cubes (TCF), avec un potentiel d’expansion de la production jusqu’à 10 mtpa dans les phases futures, ce qui en fait un actif stratégique pour la sécurité énergétique régionale et mondiale. 

Yakaar-Teranga (Gaz) : Au sud de la zone de GTA se trouve le bloc Cayar Offshore Profond (COP), qui abrite les découvertes massives de gaz de Yakaar et Teranga. Ce gisement, entièrement situé dans les eaux sénégalaises, est d’une importance stratégique capitale pour l’avenir énergétique du pays, car il le rend moins dépendant de la coopération avec la Mauritanie. Les ressources récupérables y sont estimées à plus de 20 TCF (soit 560 milliards de mètres cubes), un volume supérieur à celui de GTA.  Le projet a connu une reconfiguration majeure fin 2023 lorsque BP, suite à des désaccords profonds au sein du consortium, s’est retiré de son rôle d’opérateur. Le bloc est désormais opéré par la société américaine Kosmos Energy (avec une participation de 75 %) en partenariat avec PETROSEN (25 %). Le gouvernement sénégalais cherche activement un nouveau partenaire majeur pour rééquilibrer la structure de propriété, visant une répartition d’environ un tiers pour chaque partie : Kosmos Energy, PETROSEN et le nouvel entrant. Yakaar-Teranga représente la prochaine grande frontière gazière du Sénégal, un projet souverain qui testera la capacité de l’État à jouer un rôle plus central dans le développement de ses propres ressources.

 

La Constellation des Entreprises : Cartographie des Intérêts de Woodside, BP, Kosmos Energy et PETROSEN

 

Les dynamiques géopolitiques sont indissociables des stratégies des entreprises qui exploitent les ressources. Chaque compagnie apporte ses propres intérêts, sa culture d’entreprise et ses liens avec son pays d’origine, créant un écosystème complexe d’acteurs.

Woodside Energy (Australie) : En tant qu’opérateur du projet pétrolier Sangomar avec une participation de 82 % dans la zone d’exploitation (contre 18 % pour PETROSEN), Woodside est un acteur central et la principale contrepartie du gouvernement sénégalais dans toute discussion sur la renégociation des contrats pétroliers. La réussite de la mise en production rapide et efficace du champ, qui a atteint sa capacité nominale en seulement neuf semaines, témoigne de sa compétence technique de classe mondiale et renforce sa position de négociation. 

BP (Royaume-Uni) et Kosmos Energy (États-Unis) : Ce duo anglo-saxon forme le cœur du projet GTA. BP, en tant qu’opérateur avec une participation majoritaire d’environ 56 %, et Kosmos, avec une part significative d’environ 27 %, sont les partenaires incontournables pour le Sénégal et la Mauritanie. Le rôle de BP est encore renforcé par le fait que sa filiale, BP Gas Marketing, a été désignée comme acheteur unique de la totalité du GNL produit lors de la phase 1, lui conférant un pouvoir de marché considérable. Kosmos Energy, la société qui a réalisé les découvertes initiales, reste un partenaire technique et financier essentiel. Son rôle est d’autant plus stratégique qu’elle est désormais l’opérateur principal du projet Yakaar-Teranga, ce qui en fait un acteur clé de l’avenir gazier à long terme du Sénégal. 

PETROSEN (Sénégal) : La Société des Pétroles du Sénégal (PETROSEN) est l’instrument de la politique de l’État dans le secteur des hydrocarbures. Elle a pour ambition de devenir un géant pétrolier intégré à l’horizon 2030. Cependant, sa position actuelle est celle d’un partenaire minoritaire et non-opérateur dans les projets en production, avec 18 % dans la zone d’exploitation de Sangomar et 10 % dans GTA. Cette position limite sa capacité à influencer les décisions opérationnelles et financières majeures, qui restent entre les mains des compagnies internationales. L’objectif d’acquérir une participation de 34 % dans le projet Yakaar-Teranga est donc un test crucial pour son ambition.  La capacité de PETROSEN à évoluer d’un simple détenteur de parts à un acteur technique et commercial compétent est une variable déterminante pour la maximisation des retombées nationales.

Le portefeuille de projets sénégalais révèle une architecture complexe qui, intentionnellement ou non, diversifie les risques et les dépendances du pays. Contrairement à d’autres nations dont le secteur est dominé par une seule supermajor ou un unique projet, le Sénégal jongle avec des partenaires de nationalités différentes (australienne, britannique, américaine), des ressources distinctes (pétrole et gaz) et des structures politiques variées (souveraine et transfrontalière). Cette diversité structurelle offre au gouvernement sénégalais de multiples leviers et points de pression. Un différend avec Woodside sur Sangomar n’affecte pas automatiquement la relation avec BP et Kosmos sur GTA. De plus, l’ambition affichée de l’État de jouer un rôle plus actif et majoritaire dans Yakaar-Teranga témoigne d’une volonté stratégique de passer du statut de simple collecteur de rentes à celui de participant actif, tirant les leçons des participations minoritaires dans les premiers projets. Cela crée un échiquier géopolitique plus nuancé et multi-dimensionnel.

Projet Ressource Principale Opérateur Partenaires Clés et Participations (%) Réserves Estimées Capacité de Production Statut (fin 2025)
Sangomar Pétrole Brut Woodside Energy Woodside (82%), PETROSEN (18%) ~231 millions de barils (Phase 1) 100 000 b/j En production
Grand Tortue Ahmeyim (GTA) Gaz Naturel (GNL) BP BP (~56%), Kosmos (~27%), PETROSEN (10%), SMH (7%) ~15 TCF (champ GTA) 2,5 mtpa de GNL (Phase 1) En production
Yakaar-Teranga Gaz Naturel Kosmos Energy Kosmos (75%), PETROSEN (25%) – recherche d’un 3ème partenaire >20 TCF À déterminer Pré-Décision Finale d’Investissement, recherche de partenaire

Tableau 1 : Projets d’hydrocarbures clés au Sénégal. Ce tableau synthétise les informations sur les principaux projets, leurs opérateurs, les structures de partenariat et leur statut, offrant une vue d’ensemble des actifs au cœur des enjeux géopolitiques. 

 

Le Chaudron Politique Intérieur

 

Les dynamiques géopolitiques externes ne peuvent être comprises sans une analyse approfondie des luttes de pouvoir internes et des héritages historiques qui façonnent la nouvelle politique énergétique assertive du Sénégal.

 

L’Ombre Persistante de Petro-Tim : Comment les Scandales Passés Alimentent la Politique Actuelle

 

L’histoire récente du secteur pétrolier sénégalais est marquée par un scandale qui a profondément ébranlé la confiance du public et qui continue de projeter son ombre sur le paysage politique actuel. En 2019, une enquête explosive de la BBC, menée par ses programmes Panorama et Africa Eye, a révélé des allégations troublantes concernant l’attribution de deux blocs gaziers offshore majeurs. Au cœur de l’affaire se trouvait l’homme d’affaires roumano-australien Frank Timis. Son entreprise, Petro-Tim, aurait acquis les droits sur ces blocs en 2012 dans des circonstances opaques, sans expérience avérée dans l’exploration pétrolière. 

L’enquête de la BBC a allégué que Timis Corporation, après avoir obtenu les blocs, les a revendus à BP en 2017, et se serait positionné pour recevoir des redevances estimées entre 9 et 12 milliards de dollars sur la durée de vie du projet, un accord qualifié de « plus généreux de l’industrie ». Le scandale a pris une dimension politique explosive en impliquant directement Aliou Sall, le frère du président de l’époque, Macky Sall. Aliou Sall aurait été engagé comme consultant par Timis et des documents suggéraient qu’il était le bénéficiaire de paiements suspects, notamment un versement de 250 000 dollars qualifié de « paiement fiscal ». 

Bien que toutes les parties impliquées, y compris BP, Frank Timis et Aliou Sall, aient nié toute malversation, l’impact politique a été dévastateur. Aliou Sall a été contraint de démissionner de son poste de directeur de la Caisse des Dépôts et Consignations, une institution financière publique. L’affaire a cimenté dans l’opinion publique un narratif puissant de corruption, de népotisme et de

bradage des ressources nationales au profit d’intérêts privés et étrangers. Des organisations comme Transparency International ont appelé à des enquêtes approfondies sur ces transactions.  Ce scandale est devenu une pierre angulaire du discours de l’opposition, qui a capitalisé sur la colère populaire pour construire sa plateforme politique.

 

La Doctrine Faye-Sonko : Audits, Renégociations et Quête de Souveraineté

 

L’élection de Bassirou Diomaye Faye à la présidence en mars 2024, avec Ousmane Sonko comme Premier ministre, a marqué une rupture politique. Leur victoire a été largement portée par une promesse de changement radical, notamment dans la gestion des ressources naturelles du pays. Conformément à leur programme, l’une des premières actions du nouveau gouvernement a été d’annoncer un audit complet des secteurs minier, pétrolier et gazier, avec une intention claire de renégocier les contrats jugés défavorables aux intérêts du Sénégal. 

En août 2024, cette promesse s’est concrétisée avec l’installation officielle d’une commission d’experts chargée de passer au crible tous les contrats et conventions. Cette commission est composée de spécialistes en droit, en fiscalité et en énergie, issus de l’administration sénégalaise, mais avec la possibilité de faire appel à des experts internationaux si nécessaire. Le Premier ministre Ousmane Sonko a tenu à clarifier l’approche du gouvernement, affirmant que la logique n’était pas de « tout raser ou de nationaliser », mais de travailler de manière « rigoureuse et méthodique » pour parvenir à un « rééquilibrage » des contrats. 

Cette démarche est justifiée non seulement par des motifs politiques, mais aussi par des soupçons techniques. Des allégations de surfacturation ont émergé, notamment concernant le projet GTA. Il est avancé que l’invocation d’un cas de force majeure par BP durant la pandémie de COVID-19 aurait engendré des coûts supplémentaires dont la légitimité est remise en question. Selon des estimations préliminaires, le manque à gagner pour le Sénégal pourrait s’élever de 200 à 300 millions de dollars sur la durée de vie du projet si les contrats ne sont pas révisés. Cette argumentation technique fournit au gouvernement un levier de négociation puissant, au-delà de la simple rhétorique politique.

Le nouveau gouvernement utilise de manière stratégique l’héritage du scandale Petro-Tim comme une arme de légitimation pour son programme de renégociation des contrats. L’audit n’est pas une simple vérification comptable ; c’est un acte politique calculé. La profonde méfiance du public envers la gestion des ressources par le régime précédent, nourrie par l’affaire Petro-Tim  a fourni au tandem Faye-Sonko un mandat populaire clair pour « récupérer » les richesses nationales. En lançant cette commission d’audit très médiatisée , le gouvernement ne se positionne pas comme un partenaire commercial cherchant à modifier un accord, mais comme un État souverain agissant pour corriger une injustice historique. Ce cadrage moral place les compagnies pétrolières internationales comme BP et Woodside dans une position défensive. Elles sont contraintes de participer à un processus qui les associe, même indirectement, à un passé entaché de soupçons, ce qui affaiblit leur position de négociation. La pression de l’opinion publique devient ainsi un levier de négociation pour amener les compagnies à la table des discussions sur des bases plus favorables au Sénégal, et potentiellement pour éviter le recours à des arbitrages internationaux longs, coûteux et incertains. La véritable dynamique cachée ici est la transformation d’un scandale passé en un atout de négociation présent.

 

PETROSEN : Instrument de l’État ou Champion National en Devenir?

 

Au centre de la stratégie énergétique du Sénégal se trouve PETROSEN. Juridiquement, la société holding est l’instrument d’application de la politique de l’État dans le sous-secteur des hydrocarbures, opérant à travers des co-entreprises (joint-ventures) avec des partenaires internationaux. Sa structure a été réformée pour couvrir l’ensemble de la chaîne de valeur, avec des filiales dédiées à l’exploration-production (PETROSEN E&P), au commerce et aux services (PETROSEN T&S), ainsi que des participations dans le raffinage (SAR) et la logistique. 

L’ambition affichée est immense : faire de PETROSEN un « géant pétrolier intégré, diversifié et performant » d’ici 2030, qui serait le principal contributeur au développement économique et social du pays. Cependant, la réalité actuelle est plus modeste. Dans les projets majeurs qui entrent en production, PETROSEN ne détient que des participations minoritaires et non-opératrices : 18 % dans la zone d’exploitation de Sangomar et 10 % dans GTA. Cette position limite considérablement sa capacité à influencer les décisions stratégiques, opérationnelles et financières, qui restent largement entre les mains de Woodside et de BP.

Le projet Yakaar-Teranga représente donc un test décisif pour cette ambition. L’objectif du gouvernement d’y porter la participation de PETROSEN à environ 34 %  est une tentative claire de changer ce paradigme. Si PETROSEN parvient à jouer un rôle technique et commercial substantiel dans le développement de ce gisement de classe mondiale, cela marquerait une étape cruciale vers son objectif de devenir un véritable champion national. En cas d’échec, elle risquerait de rester cantonnée à un rôle de partenaire junior, collectant des revenus passifs sans développer une expertise nationale robuste. La trajectoire de PETROSEN est donc un baromètre clé de la capacité du Sénégal à transformer sa rhétorique de souveraineté en une réalité industrielle.

 

Le Grand Jeu des Puissances sur la Côte Sénégalaise

 

L’émergence du Sénégal comme producteur d’hydrocarbures ne se joue pas en vase clos. Elle redessine ses relations extérieures et transforme le pays en une nouvelle arène de compétition géopolitique, où les puissances établies et émergentes cherchent à défendre et à étendre leur influence.

 

Le Rôle Changeant de la France : de Partenaire Privilégié à Acteur Contesté

 

La France, ancienne puissance coloniale, entretient des liens économiques et institutionnels profonds avec le Sénégal.29 Cependant, cette relation historique est de plus en plus contestée. Une part importante de la population sénégalaise perçoit l’influence politique de la France de manière négative, un sentiment que le nouveau gouvernement souverainiste a su capter et amplifier. La rhétorique de diversification des partenariats et de rupture avec le « pré carré » vise implicitement cette dépendance historique. 

Malgré cette contestation, Paris conserve des leviers d’influence importants, notamment dans le secteur de l’énergie. La France, aux côtés de l’Allemagne, est co-leader du Partenariat pour une Transition Énergétique Juste (JETP) avec le Sénégal. Ce mécanisme de financement de la transition verte positionne la France comme un acteur central dans le futur énergétique du Sénégal, même si son implication directe dans les projets d’hydrocarbures est limitée. La relation bilatérale est donc en pleine mutation, passant d’un rapport de déférence historique à un partenariat plus transactionnel et pragmatique, où la France doit composer avec un interlocuteur sénégalais plus affirmé. 

 

Les États-Unis : Intérêts Commerciaux et Surveillance Stratégique

 

L’influence américaine au Sénégal s’exerce principalement par le biais de ses entreprises. La société texane Kosmos Energy est un acteur de premier plan, ayant été à l’origine des découvertes de gaz et détenant aujourd’hui des parts cruciales dans le projet GTA, en plus de son rôle d’opérateur sur le gisement stratégique de Yakaar-Teranga. Le succès commercial de ces projets représente un intérêt direct pour les États-Unis.

Au-delà du commerce, Washington a un intérêt stratégique majeur à assurer la stabilité d’un nouveau producteur d’énergie en Afrique de l’Ouest. L’exportation de GNL sénégalais, notamment vers les marchés européens, s’inscrit parfaitement dans la stratégie américaine de diversification des sources d’approvisionnement énergétique de ses alliés, réduisant ainsi leur dépendance vis-à-vis de la Russie. Sur le plan de la perception publique, les États-Unis bénéficient d’une image nettement plus positive que la France, ce qui leur confère un avantage en termes de soft power et facilite leur engagement. 

 

La Chine et la Russie : Nouveaux Acteurs, Nouvelles Règles

 

La carte géopolitique est complétée par l’arrivée de nouvelles puissances aux approches distinctes.

La Chine : Partenaire économique majeur, l’influence de la Chine est perçue positivement au Sénégal. Elle figure parmi les principaux fournisseurs du pays et a été l’une des premières destinations des cargaisons de pétrole du champ de Sangomar. Son empreinte dans le secteur énergétique sénégalais s’est considérablement approfondie en 2024 avec la signature d’un accord majeur : la société chinoise SEDIN Engineering s’est engagée à construire une deuxième raffinerie de pétrole ainsi qu’une usine de pétrochimie. Cet investissement massif dans les infrastructures en aval positionne la Chine non seulement comme un client, mais aussi comme un partenaire clé dans la transformation et la valorisation locale des hydrocarbures sénégalais.

La Russie : Moscou cherche activement à étendre son influence en Afrique de l’Ouest, y compris au Sénégal, en utilisant une combinaison d’outils diplomatiques, économiques et sécuritaires. Bien que son poids économique reste modeste comparé à celui de la Chine ou de la France, la Russie se présente comme une alternative stratégique aux partenaires occidentaux. Son discours anti-impérialiste et son offre de partenariats dans le domaine de la défense (ventes d’armements) trouvent un écho favorable auprès des courants souverainistes de la région.En se positionnant comme un partenaire sans conditionnalités politiques, la Russie cherche à saper l’influence occidentale et à s’implanter durablement dans une région stratégique.

 

Le Partenariat pour une Transition Énergétique Juste (JETP) : Diplomatie Climatique ou Levier Géopolitique?

 

En juin 2023, le Sénégal a conclu un Partenariat pour une Transition Énergétique Juste (JETP) avec un groupe de partenaires internationaux incluant la France, l’Allemagne, l’Union Européenne, le Royaume-Uni et le Canada. Cet accord vise à mobiliser un financement initial de 2,5 milliards d’euros (environ 2,74 milliards de dollars) sur une période de trois à cinq ans. 

L’objectif officiel est d’aider le Sénégal à porter la part des énergies renouvelables dans sa capacité de production électrique installée à 40 % d’ici 2030. Le partenariat, cependant, contient une nuance cruciale : il reconnaît explicitement l’intention du Sénégal d’utiliser ses vastes ressources en gaz naturel comme une « énergie de transition » pour assurer sa sortie progressive du fioul lourd, plus polluant. 

Cela crée une tension fondamentale et un paradoxe géopolitique. Le Sénégal est financé par les puissances occidentales pour décarboner son économie au moment même où il lance une industrie des hydrocarbures à grande échelle. Le JETP, bien qu’apportant des fonds essentiels pour les énergies renouvelables, fonctionne également comme un puissant instrument de soft power pour l’Occident. Il risque de contraindre les ambitions à long terme du Sénégal en matière d’énergies fossiles et de lier sa politique énergétique aux objectifs climatiques et aux conditions fixées par ses partenaires occidentaux.

Le nouveau gouvernement, élu sur une plateforme de souveraineté et de rupture avec la dépendance néocoloniale, se trouve ainsi dans une position délicate. En acceptant ce financement de 2,5 milliards d’euros d’un consortium mené par son ancienne puissance coloniale , il s’engage dans un processus qui va au-delà du simple financement. Le partenariat implique l’élaboration conjointe d’une « stratégie de développement à long terme à faibles émissions ». Cette dynamique cachée offre à l’Occident un levier d’influence durable. Il peut conditionner son soutien futur à l’adhésion du Sénégal à une trajectoire de décarbonation qui pourrait entrer en conflit avec la volonté du gouvernement de maximiser les revenus tirés de projets gaziers majeurs comme Yakaar-Teranga. Le JETP devient ainsi un moyen pour l’Occident de maintenir son influence à l’ère post-coloniale, en utilisant le langage de la justice climatique pour façonner la trajectoire énergétique d’un nouveau producteur. Le Sénégal est donc contraint d’arbitrer constamment entre sa rhétorique souverainiste et la nécessité pragmatique d’accéder aux financements et aux technologies occidentales.

Pays Acteurs Clés Intérêts Principaux Leviers d’Influence
France Gouvernement français, AFD, BEI Maintenir l’influence, piloter la transition verte (JETP), préserver les liens économiques Financement du JETP, liens historiques, diplomatie, présence économique
États-Unis Gouvernement américain, Kosmos Energy Succès commercial (Kosmos), approvisionnement en GNL pour l’Europe, stabilité régionale Investissement des entreprises, technologie, perception publique positive
Chine Gouvernement chinois, SEDIN Engineering, CNOOC (régional) Sécuriser les ressources, contrats d’infrastructure (raffinerie), étendre l’accès au marché Financement d’infrastructures, commerce, politique de non-ingérence
Russie Gouvernement russe, Rosatom (régional), contractants militaires Saper l’influence occidentale, partenariats de sécurité, trouver de nouveaux marchés Ventes d’armes, alternatives diplomatiques, soutien sécuritaire

Tableau 2 : Matrice d’Influence Étrangère. Ce tableau offre une analyse comparative des intérêts et des outils d’influence des principales puissances mondiales engagées au Sénégal, révélant la nature multipolaire de la compétition géopolitique. Sources :.2

 

Le Nœud Mauritanien : Coopération et Compétition sur une Frontière Partagée

 

La dimension régionale est un axe critique de la géopolitique énergétique sénégalaise. La relation avec la Mauritanie, centrée sur le gisement partagé de Grand Tortue Ahmeyim, est un cas d’école de coopération pionnière, mais elle est aujourd’hui mise à l’épreuve par le nouveau contexte politique à Dakar.

 

GTA : Un Modèle de Gestion des Ressources Transfrontalières?

 

Le projet GTA repose sur un Accord de Coopération Intergouvernementale (ACI) signé entre le Sénégal et la Mauritanie, qui établit un cadre juridique et fiscal pour le développement conjoint du gisement. Cet accord est souvent présenté comme un succès historique et un exemple de coopération régionale réussie, permettant aux deux nations de mutualiser leurs efforts pour pénétrer ensemble le marché mondial du GNL.

La structure du projet incarne cette coopération, avec la participation des deux compagnies pétrolières nationales, PETROSEN pour le Sénégal et la Société Mauritanienne des Hydrocarbures (SMH) pour la Mauritanie, au sein du consortium. Cette architecture garantit que les deux États ont un intérêt direct et une représentation formelle dans la gouvernance du projet, ce qui est essentiel pour assurer un partage équitable des bénéfices et une gestion coordonnée des opérations. L’aboutissement de la phase 1, avec la première exportation de GNL, est le fruit de plusieurs années de planification stratégique et de coopération intergouvernementale de haut niveau. 

 

Courants de Tension : Confiance, Asymétrie et Politique des Revenus Partagés

 

L’arrivée au pouvoir du gouvernement Faye-Sonko au Sénégal a introduit une nouvelle dynamique potentiellement déstabilisatrice. Leur programme agressif de lutte contre la corruption et d’audit des contrats crée des frictions inévitables avec la Mauritanie. Des informations non confirmées mais persistantes font état de tensions au plus haut niveau, suggérant que le président Faye aurait refusé de partager une scène avec son homologue mauritanien, Mohamed Ould Ghazouani, pour une inauguration officielle du projet. Ce geste symboliserait un profond désaccord sur la gestion des contrats signés par les régimes précédents. 

Le cœur de la tension réside dans le fait que l’audit sénégalais pourrait révéler des détails sur les négociations initiales de l’accord GTA qui pourraient s’avérer embarrassants, voire compromettants, pour la partie mauritanienne, qui n’a pas connu de changement de régime similaire et pourrait donc préférer le maintien du statu quo. Des craintes ont été exprimées que la Mauritanie ne cherche à « protéger les voleurs du contrat GTA », tandis que le Sénégal souhaite « les punir pour leur trahison », créant ainsi un risque d’impasse diplomatique et de blocage du projet. 

La révolution politique intérieure du Sénégal constitue ainsi une menace directe pour la stabilité de la coopération historique sur le projet GTA avec la Mauritanie. La campagne anti-corruption menée par Dakar n’est pas une simple affaire intérieure ; elle a des répercussions transfrontalières profondes. Le projet GTA, et la confiance qu’il requiert, repose sur l’Accord de Coopération Intergouvernementale, un produit des administrations politiques précédentes dans les deux pays.  Le nouveau gouvernement sénégalais a reçu un mandat populaire pour auditer et renégocier précisément ce type de contrats, qu’il considère comme potentiellement corrompus et déséquilibrés.23 Cet audit examinera inévitablement les termes convenus par BP, Kosmos et les deux gouvernements. Si l’enquête révèle des clauses jugées désavantageuses ou des preuves d’irrégularités, le Sénégal exercera une forte pression pour obtenir des modifications. La Mauritanie, qui n’a pas connu de bouleversement politique similaire, a un intérêt direct à la stabilité du contrat existant. Toute tentative du Sénégal de modifier unilatéralement les termes ou d’exposer publiquement les détails des négociations passées pourrait être perçue comme un acte hostile, sapant la confiance essentielle à la gestion d’une ressource partagée sur plusieurs décennies. La dynamique cachée est donc la suivante : un projet célébré pour sa coopération internationale pourrait devenir une source majeure de conflit bilatéral, où la quête de légitimité intérieure du Sénégal se heurte directement à l’intérêt de la Mauritanie pour la stabilité contractuelle.

 

La Bataille pour la Valeur : Légiférer l’Intérêt National

 

Face aux puissants intérêts internationaux, le Sénégal a commencé à se doter d’outils juridiques et réglementaires pour tenter de maximiser les retombées nationales, garantir la transparence et répondre aux attentes de sa population. La mise en œuvre et l’efficacité de ces outils sont au cœur de la bataille pour la captation de la valeur.

 

La Loi sur le « Contenu Local » : Cadre pour la Prospérité ou Barrière à l’Investissement?

 

Adoptée en 2019, la loi n° 2019-04 relative au Contenu Local dans le secteur des hydrocarbures est la pierre angulaire de la stratégie sénégalaise visant à s’assurer que l’exploitation des ressources profite à l’économie et au peuple sénégalais. Elle a été conçue pour éviter le syndrome de l’économie d’enclave, où la richesse extraite quitte le pays sans créer de valeur ajoutée locale.

Les dispositions clés de cette loi sont ambitieuses. Elle instaure un principe de « préférence nationale », obligeant les compagnies pétrolières à recourir en priorité aux entreprises sénégalaises pour la fourniture de biens et de services.  Pour ce faire, elle classifie les activités en trois régimes : un régime

exclusif, réservé aux entreprises à capitaux majoritairement sénégalais ; un régime mixte, qui impose des co-entreprises entre sociétés locales et étrangères ; et un régime non exclusif pour les activités à faible potentiel de contenu local. 

Au cœur du dispositif se trouve le Comité National de Suivi du Contenu Local (CNSCL), un organe puissant chargé de superviser la mise en œuvre de la stratégie. Le CNSCL a pour mission d’approuver les plans d’approvisionnement des compagnies, de contrôler leur conformité, et de gérer une plateforme électronique où tous les appels d’offres doivent être publiés. L’objectif final est audacieux : atteindre un taux de contenu local de 50 % dans les activités pétrolières et gazières d’ici 2030. 

Cependant, malgré ce cadre juridique robuste, la mise en œuvre se heurte à des défis considérables. Des rapports soulignent un déficit de capacités techniques et financières parmi les entreprises locales, un manque de main-d’œuvre qualifiée répondant aux standards de l’industrie, et une faible participation globale du secteur privé national dans la chaîne de valeur. Le succès de la loi dépendra donc de l’efficacité des mécanismes de soutien, comme le Fonds d’Appui au Développement du Contenu Local (FADCL), conçu pour renforcer les capacités des entreprises sénégalaises. 

La loi sur le contenu local est l’instrument principal du Sénégal pour réaliser sa souveraineté économique, mais elle est une arme à double tranchant. Elle porte le risque caché de devenir un outil de capture par les élites et un goulot d’étranglement pour les investissements si les problèmes de capacité sous-jacents ne sont pas résolus. L’objectif de la loi est de répartir la richesse en obligeant les compagnies internationales à utiliser la main-d’œuvre, les services et les capitaux locaux.  C’est une réponse directe au modèle classique de « l’économie d’enclave » qui caractérise la malédiction des ressources. Cependant, la réalité sur le terrain, marquée par un « déficit de capacités techniques et financières » et un « manque de qualification », crée un fossé critique entre le mandat légal et la capacité pratique. Les compagnies internationales, pressées de respecter les quotas de contenu local, pourraient être contraintes de s’associer avec les rares entreprises sénégalaises qui possèdent le capital et les relations nécessaires, mais pas nécessairement la meilleure expertise ou les prix les plus compétitifs. Le danger invisible est que le CNSCL, en tant que puissant gardien des contrats, pourrait favoriser, involontairement ou non, un système de recherche de rentes où une petite classe d’affaires politiquement connectée s’enrichit, au lieu de promouvoir un développement industriel à grande échelle. Cela reviendrait à reproduire les pires effets de la malédiction des ressources sous le couvert de la préférence nationale, transformant la loi en un instrument qui pourrait soit construire une base industrielle nationale, soit simplement enrichir une nouvelle élite.

 

La Transparence comme Outil Politique : Rôle et Limites de l’ITIE

 

Le Sénégal est un pays membre de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), une norme mondiale qui vise à améliorer la gouvernance en rendant publics les revenus que les États reçoivent des entreprises extractives. Les rapports annuels de l’ITIE Sénégal sont devenus une source d’information cruciale et un outil politique pour la société civile et le gouvernement.

Le rapport ITIE pour l’année fiscale 2023 a révélé que le secteur extractif a généré des revenus totaux de 380,03 milliards de FCFA (environ 606 millions de dollars), soit une augmentation significative de 39 % par rapport aux 275 milliards de FCFA de 2022.  Cette croissance témoigne du dynamisme du secteur, mais une analyse plus fine révèle une réalité nuancée.

En 2023, le secteur minier (or, phosphates) est resté le principal contributeur avec 332,43 milliards de FCFA de revenus. Le secteur des hydrocarbures, bien qu’en croissance, n’a contribué qu’à hauteur de 30,65 milliards de FCFA (contre 24,7 milliards en 2022). Ces chiffres démontrent que, bien que l’ère des hydrocarbures ait officiellement commencé, son impact financier majeur sur les caisses de l’État n’est pas encore pleinement matérialisé. Cette réalité, mise en lumière par l’ITIE, est essentielle pour gérer les attentes démesurées de la population. Le cadre de l’ITIE est également utilisé par les organisations de la société civile pour plaider en faveur d’une plus grande redevabilité et a été déterminant pour intégrer le suivi des données sur le contenu local dans le processus de rapportage, renforçant ainsi la pression pour une mise en œuvre effective de la loi.

Source de Revenus Revenus 2022 (milliards FCFA) Revenus 2023 (milliards FCFA) Croissance Annuelle (%) Part du Total 2023 (%)
Secteur Minier 235,71 332,43 +41 % 87,5 %
Secteur des Hydrocarbures 24,70 30,65 +24 % 8,1 %
Total des Revenus Extractifs 275,33 380,03 +38 % 100 %

Tableau 3 : Synthèse des Revenus de l’ITIE (2022 vs. 2023). Ce tableau fournit des données empiriques sur la contribution financière du secteur extractif, mettant en évidence la prédominance continue du secteur minier et la contribution encore naissante des hydrocarbures en 2023. Sources :.58

 

Naviguer vers l’Avenir : Risques, Opportunités et Perspectives Stratégiques

 

La synthèse des analyses précédentes permet de dessiner un tableau prospectif des défis et des choix stratégiques qui attendent le Sénégal et ses partenaires dans cette nouvelle ère énergétique.

 

Manne Économique et Failles Sociales : Éviter la Malédiction des Ressources

 

L’entrée en production des gisements d’hydrocarbures offre au Sénégal des opportunités économiques historiques, mais l’expose également aux risques classiques de la « malédiction des ressources ».

Les Opportunités : Les projections économiques sont optimistes, tablant sur une croissance spectaculaire tirée par le secteur extractif. Les revenus directs pour l’État, rien que pour la phase 1 de Sangomar, sont estimés entre 2 et 4 milliards de dollars sur la durée du projet. Cette manne financière pourrait permettre de financer les ambitions du Plan Sénégal Émergent (PSE), d’investir dans les infrastructures, l’éducation et la santé, et de relever les défis du développement. La stratégie « Gas-to-Power », qui vise à utiliser une partie du gaz domestique pour produire de l’électricité, promet une énergie moins chère, plus fiable et plus propre que le fioul lourd, ce qui pourrait stimuler l’industrialisation et améliorer la vie quotidienne des citoyens.68

Les Risques : Le Sénégal est confronté à une série de pièges bien documentés dans d’autres pays riches en ressources.

  • Attentes Démesurées : Les attentes du public concernant une richesse immédiate et universellement partagée sont extrêmement élevées et potentiellement irréalistes. Cette pression politique pourrait pousser le gouvernement à des dépenses publiques insoutenables, à un endettement excessif et à une mauvaise allocation des revenus. 

  • Maladie Hollandaise : Un afflux massif de devises provenant des exportations d’hydrocarbures pourrait entraîner une appréciation du taux de change réel, rendant les autres secteurs de l’économie, comme l’agriculture et la pêche, moins compétitifs sur les marchés internationaux et nuisant ainsi à la diversification économique. 

  • Conflits Sociaux et Environnementaux : Les projets offshore se déroulent dans des zones marines écologiquement sensibles et vitales pour la pêche artisanale. Les activités d’exploration et d’exploitation menacent les moyens de subsistance des communautés côtières (comme à Guet Ndar, Kayar ou Mboro) et les écosystèmes fragiles comme le delta du Saloum, créant des foyers de tension et de conflit potentiels. 

  • Dépendance Fossile : La stratégie « Gas-to-Power », bien que bénéfique à court terme, comporte le risque de « verrouiller » le Sénégal dans une dépendance à long terme aux infrastructures fossiles. Des contrats d’achat d’électricité de type « take-or-pay » pourraient peser sur les finances publiques et freiner la transition vers les énergies renouvelables, même si celles-ci deviennent plus compétitives.

 

Perspectives Stratégiques pour l’État Sénégalais : Équilibrer Souveraineté, Stabilité et Développement

 

Pour le gouvernement Faye-Sonko, le défi principal consiste à trouver un équilibre délicat. Il doit affirmer la souveraineté nationale en renégociant les contrats pour obtenir une part plus juste des revenus, tout en maintenant un climat d’investissement suffisamment stable et prévisible pour attirer les capitaux nécessaires au développement des phases futures des projets, notamment Sangomar Phase 2 et le crucial Yakaar-Teranga. 

Le succès dépendra de sa capacité à traduire la loi sur le contenu local en résultats concrets : création d’emplois qualifiés, développement d’une base industrielle locale compétitive, et transfert de technologie effectif. Il s’agira de passer de la rhétorique à l’exécution. Sur le plan géopolitique, la gestion du paysage complexe des grandes puissances exigera une diplomatie habile, capable de jouer des rivalités entre les États-Unis, la Chine, la Russie et le bloc européen mené par la France, sans tomber dans une dépendance excessive à l’égard d’un seul partenaire.

 

Perspectives pour les Investisseurs et les Partenaires Internationaux : Gérer le Risque Politique dans une Nouvelle Ère

 

L’ère des contrats stables et très avantageux pour les compagnies internationales au Sénégal est révolue. Les investisseurs doivent désormais intégrer dans leurs modèles un degré de risque politique plus élevé et se préparer à faire face à une contrepartie étatique plus assertive, mieux préparée sur le plan technique et dotée d’une forte légitimité politique.

Pour les compagnies pétrolières, la clé du succès résidera dans un engagement proactif, une plus grande transparence et une volonté de démontrer des contributions tangibles et mesurables au contenu local et au développement national. Une stratégie de résistance frontale à l’agenda d’audit et de renégociation du gouvernement pourrait s’avérer contre-productive, menant à des batailles juridiques longues et coûteuses, ainsi qu’à des dommages réputationnels importants. 

Pour les partenaires internationaux, l’engagement doit évoluer au-delà de l’aide au développement traditionnelle. Il doit intégrer une diplomatie énergétique complexe, capable de concilier les objectifs climatiques mondiaux, incarnés par le JETP, avec la réalité des ambitions du Sénégal en matière d’énergies fossiles. Ignorer la volonté du pays d’utiliser son gaz pour son propre développement serait une erreur stratégique, tout comme ignorer les risques environnementaux et sociaux associés.

 

Conclusion

 

La géopolitique cachée du pétrole et du gaz sénégalais se révèle être une interaction dynamique et souvent conflictuelle entre plusieurs forces puissantes. D’un côté, un nouveau gouvernement souverainiste, armé de la légitimité politique conférée par les scandales passés et les aspirations populaires, cherche à redéfinir les règles du jeu. De l’autre, des intérêts privés internationaux bien établis, protégés par la sacralité des contrats, s’efforcent de préserver leurs investissements. Cet affrontement se déroule sur un échiquier mondial en pleine mutation, où un paysage changeant d’influence des grandes puissances offre au Sénégal de nouvelles alternatives et de nouveaux leviers. Au centre de cette équation se trouve le défi national, encore non résolu, de transformer une richesse en ressources potentielles en un développement large, inclusif et durable. L’avenir du Sénégal ne sera pas déterminé par le volume de pétrole et de gaz qui se trouve sous ses eaux, mais par sa capacité à naviguer avec succès entre ces courants de surface, périlleux et contradictoires. La véritable richesse ne sera pas extraite du sous-sol, mais forgée dans l’arène politique, diplomatique et économique.


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