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I. Introduction : La ZFID au Cœur de la Stratégie Industrielle Sénégalaise

 

La Zone Franche Industrielle de Dakar (ZFID), située à Mbao, à environ 15 kilomètres à l’est de la capitale sénégalaise, a été inaugurée en mars 1976. Sa création par le gouvernement sénégalais en 1974 s’inscrivait dans une vision ambitieuse de développement économique. La zone couvre une superficie totale aménageable de plus de 600 hectares, dont environ 470 hectares sont spécifiquement réservés à l’implantation industrielle. Initialement, seulement 60 hectares avaient été aménagés pour accueillir les premières entreprises.  

 

À l’échelle mondiale, les zones franches industrielles ont proliféré depuis les années 1980, souvent en réponse à la tendance de délocalisation de la production industrielle. Elles sont perçues comme des outils essentiels pour le développement et la croissance économique axée sur l’exportation, en particulier dans les pays en développement cherchant à attirer des capitaux étrangers pour la production de biens et services destinés aux marchés internationaux. La mise en place de la ZFID par le Sénégal à cette période reflétait une intention stratégique de se positionner comme un acteur clé dans le paysage industriel régional. Cette démarche proactive visait à faire de Dakar un pôle industriel majeur, anticipant les dynamiques économiques mondiales.  

 

Ce rapport a pour objectif d’évaluer de manière exhaustive le rôle historique et actuel de la ZFID, d’analyser ses contributions économiques, les défis auxquels elle est confrontée, et ses perspectives d’avenir au sein du paysage industriel sénégalais en constante évolution, notamment face à l’émergence de nouvelles zones économiques. L’analyse cherchera à déterminer si la ZFID a véritablement été un « atout gagnant » pour le Sénégal et quelles sont les implications de son parcours pour les stratégies de développement futur du pays.

 

II. Genèse et Évolution Législative de la ZFID

 

La Zone Franche Industrielle de Dakar a été officiellement créée par la Loi n° 74-06 du 22 avril 1974, qui a établi son statut juridique. L’administration de cette zone a été initialement confiée à l’APIXSA (Agence pour la Promotion des Investissements et des Grands Travaux du Sénégal).  

 

Les objectifs fondateurs de la ZFID, tels qu’identifiés par une mission conjointe de l’ONUDI et de la CNUCED en 1981, étaient multiples et ambitieux. Le premier objectif était la création d’emplois massifs, un but classique pour les zones franches dans les pays en développement, visant à absorber le chômage et à améliorer la qualification professionnelle et technologique de la main-d’œuvre. Un deuxième objectif consistait à promouvoir les  

 

transferts de technologie en attirant des industries sophistiquées. Troisièmement, la ZFID visait la  

 

valorisation des ressources nationales, une ambition interprétée au sens large pour inclure le développement de liaisons en aval entre les industries de la zone et le secteur industriel et des services hors de la zone. Enfin, l’objectif de  

 

rentabilité cherchait à élargir les moyens financiers mis à la disposition de la Zone et à assurer sa viabilité économique.  

 

Des modifications législatives importantes ont jalonné l’histoire de la ZFID. La Loi n° 1993/25 du 2 septembre 1993 a complété l’article 2 de la Loi n° 89-32 du 12 octobre 1989, modifiant ainsi la loi originale de 1974. Cependant, un tournant majeur est survenu avec la Loi n° 95-34 du 29 décembre 1995, qui a institué le statut de l’« Entreprise Franche d’Exportation » (EFE). Ce statut a été mis en application par le Décret n° 96-869 du 15 octobre 1996.  

 

Le statut EFE a introduit une flexibilité significative : il permettait aux entreprises éligibles, orientées vers l’exportation (avec un potentiel d’exportation d’au moins 80 % de leur chiffre d’affaires), de bénéficier d’avantages similaires à ceux de la zone franche, mais n’importe où sur le territoire national, et non plus uniquement au sein de la ZFID. Ces avantages incluaient le libre transfert des fonds d’investissement, des salaires pour les employés étrangers et des dividendes pour les actionnaires étrangers, ainsi que la liberté de recrutement du personnel et l’accès à l’arbitrage du CIRDI. Sur le plan fiscal, les entreprises EFE bénéficiaient d’un taux d’impôt sur les sociétés réduit à 15 % (contre 25 % pour le régime commun), d’exonérations de la contribution des patentes, des impôts fonciers et des droits de douane sur l’équipement de production et les matières premières importées. Ces avantages étaient accordés pour une durée de 25 ans, renouvelable.  

 

Le Décret n° 96-869 a eu une conséquence directe et majeure sur la ZFID : depuis 1996, aucune nouvelle entreprise n’a pu s’installer dans la zone. Les 14 entreprises déjà présentes à Mbao ont vu leurs avantages prorogés jusqu’en 2016. Cette décision a marqué un changement fondamental dans la politique d’investissement du Sénégal. La mise en place du statut EFE a généralisé les incitations fiscales et douanières à l’échelle nationale, rendant la localisation physique au sein de la ZFID moins exclusive et, par conséquent, moins attrayante pour les nouveaux investisseurs. Cette évolution a déplacé l’accent de l’attractivité d’une zone géographique spécifique vers un cadre réglementaire plus large.  

 

Le tableau ci-dessous récapitule les principales évolutions législatives affectant la ZFID :

Table 1: Chronologie des Lois et Décrets Clés Affectant la ZFID (1974-Présent)

Année Loi/Décret Numéro Description/Objet Impact Clé sur la ZFID
1974 Loi n° 74-06 (22 avril) Création et statut de la Zone Franche Industrielle de Dakar (ZFID). Établissement du cadre juridique initial de la ZFID.
1993 Loi n° 1993/25 (2 sept.) Complète l’article 2 de la loi n° 89-32 modifiant la loi de 1974. Ajustements du cadre légal de la ZFID.
1995 Loi n° 95-34 (29 déc.) Institution du statut de l’Entreprise Franche d’Exportation (EFE). Introduction d’un régime d’incitation à l’exportation applicable sur tout le territoire.
1996 Décret n° 96-869 (15 oct.) Application de la loi n° 95-34 instituant le statut EFE. Restriction majeure : aucune nouvelle entreprise ne peut s’installer dans la ZFID. Les avantages des entreprises existantes sont prorogés.
2016 Expiration de la Loi 74-06 (31 déc.) Fin de la validité de la loi fondatrice de la ZFID. Remise en question du statut et des avantages des entreprises existantes, menaçant des emplois.

Cette évolution législative révèle une transformation profonde de la stratégie sénégalaise en matière de promotion des investissements. Le passage d’une zone franche géographiquement délimitée à un statut d’Entreprise Franche d’Exportation applicable sur l’ensemble du territoire national marque une reconnaissance de la part du gouvernement que les avantages de l’industrialisation orientée vers l’exportation ne devaient pas être confinés à une seule enclave physique. Bien que cette approche ait potentiellement élargi les opportunités d’investissement à travers le pays, elle a simultanément réduit l’importance de la ZFID comme pôle d’attraction principal pour les nouveaux investissements directs étrangers. La ZFID, autrefois considérée comme un « atout gagnant » pour attirer de nouvelles entreprises, est devenue une zone patrimoniale destinée à soutenir les opérations existantes, son potentiel de croissance étant effectivement plafonné.

 

III. Bilan Opérationnel et Contribution Économique de la ZFID

 

L’état des infrastructures et des services au sein de la ZFID présente un tableau contrasté. La zone dispose d’un système d’assainissement comprenant un réseau à ciel ouvert pour les eaux pluviales et un système souterrain. Les efforts actuels mettent l’accent sur l’organisation de la sécurité (prévention des risques industriels), de la sûreté (prévention des actes de malveillance, maintien de l’ordre) et de la surveillance environnementale (gestion des émissions, qualité de l’air, rejets liquides et solides dangereux). Des plans d’action spécifiques sont en place pour renforcer les moyens des services d’incendie (BNSP), réhabiliter les bouches d’incendie, améliorer l’assainissement (évacuation des déchets avec l’UCG, mise en place d’un grand canal fermé pour les eaux pluviales, stations de pompage) et optimiser la sûreté (plans de sûreté, de circulation, signalisation, surveillance avec la gendarmerie). Cependant, un rapport datant de 1981 avait déjà souligné des lacunes importantes, notamment le manque d’infrastructures sociales (cantine), l’absence de transports pour les ouvriers, des formalités douanières longues et coûteuses, des difficultés d’accès aux crédits à court terme, et des défaillances dans les services d’électricité, d’eau et de téléphone. La persistance d’un système d’assainissement à ciel ouvert, même partiellement, suggère que des défis fondamentaux en matière d’infrastructures subsistent et que les efforts de modernisation sont continus pour pallier des problèmes de longue date.  

 

Historiquement, la ZFID a accueilli diverses entreprises. En 2002, 18 entreprises y étaient installées, générant plus de 6 230 emplois. Les activités principales incluaient la fabrication de chaussures, de cheveux synthétiques, le conditionnement du sucre, le travail du cuir, la production de piles sèches et de pneus pour cycles. Des entreprises comme Acors (confection de mèches), Patisen (produits alimentaires) et Fari Industri (biscuits et bonbons) ont été citées dans le contexte de la ZFID. Actuellement, la ZFID compte 19 unités industrielles réparties dans des secteurs variés tels que les industries alimentaires, chimiques, de confection, l’hôtellerie et la restauration, la mécanique générale, les hydrocarbures et l’intérim. Des entreprises comme SITEX et STAR Industrie sont également mentionnées comme ayant réussi dans les zones franches sénégalaises grâce à la réduction des coûts opérationnels et à l’amélioration de leur compétitivité.  

 

L’évolution de l’emploi et du nombre d’entreprises au sein de la ZFID révèle une dynamique de déclin progressif. Alors qu’en 2008, environ 180 entreprises étaient recensées, employant près de 8 000 personnes , ce nombre a chuté à 15 entreprises et 900 emplois permanents en 2015. En 2017, la situation s’est aggravée, avec 7 entreprises et 16 000 emplois menacés suite à l’expiration de la Loi 74-06. Les données plus récentes de 2023 indiquent que la ZFID n’a généré que 46 emplois par de nouvelles ouvertures d’établissements, un chiffre nettement inférieur à celui d’autres régions comme Dakar (5 438 emplois) ou Thiès (2 737 emplois). Cette baisse drastique de l’activité directe et de la création d’emplois au sein de la zone physique est une indication claire de sa marginalisation en tant que moteur de croissance.  

 

Le tableau ci-dessous illustre cette évolution :

Table 2: Évolution du Nombre d’Entreprises et d’Emplois à la ZFID (Sélection d’Années Clés)

Année Nombre d’Entreprises Nombre d’Emplois Notes
2002 18 > 6 230

Entreprises installées  

 

2008 ~180 ~8 000

Entreprises « concernées » et employés  

 

2015 15 900

Entreprises implantées et emplois permanents  

 

2017 7 (à risque) 16 000 (en péril)

Menace de fermeture suite à l’expiration de la loi  

 

2023 N/A 46 (emplois générés par nouvelles ouvertures)

Très faible contribution à la création d’emplois par de nouveaux établissements  

 

Les entreprises agréées dans la ZFID ont initialement bénéficié d’incitations à l’investissement et à l’exportation jugées « extrêmement avantageuses », surpassant celles offertes dans d’autres zones franches de pays en développement. Les 14 entreprises présentes à Mbao ont vu leurs avantages prorogés jusqu’en 2016. Le statut EFE, introduit en 1996, a étendu ces avantages à l’ensemble du territoire, incluant un taux d’impôt sur les sociétés de 15 % (contre 25 % en régime commun), une franchise de douane à l’importation et à l’exportation, et des exonérations de taxe professionnelle, de taxe foncière et d’impôt sur les dividendes.  

 

Le tableau comparatif suivant met en lumière les différences entre les régimes d’incitation :

Table 3: Comparatif des Incitations Fiscales et Douanières (ZFID vs. Statut EFE)

Catégorie d’Incentif Régime ZFID (initial) Statut EFE (post-1996)
Impôt sur les Sociétés

Non spécifié, mais « extrêmement avantageux »  

 

15% (contre 25% en régime commun)  

 

Droits de Douane

Franchise de droits sur intrants  

 

Franchise de douane à l’import et à l’export  

 

Taxe Professionnelle Non spécifié

Exonération  

 

Taxe Foncière Non spécifié

Exonération  

 

Impôt sur les Dividendes Non spécifié

Exonération  

 

TVA Non spécifié

Suspension à l’importation, paiement différé / Exonération pour EFE  

 

Durée des Avantages Non spécifié

25 ans renouvelable  

 

Localisation

Confiné à la ZFID de Mbao  

 

Partout sur le territoire national  

 

La contribution spécifique de la ZFID au PIB national ou aux exportations sénégalaises n’est pas clairement quantifiée dans les données récentes disponibles. Cependant, l’économie sénégalaise dans son ensemble a enregistré une croissance du PIB réel estimée à 4,3 % en 2023, avec des prévisions de croissance soutenue d’environ 6 % en 2025, portée par l’énergie (notamment le démarrage de la production d’hydrocarbures), la logistique industrielle et la demande immobilière croissante. La production industrielle globale du Sénégal a augmenté de 19,0 % en mai 2025, principalement grâce aux industries extractives et à la production d’électricité, de gaz et d’eau. En revanche, les exportations ont légèrement reculé de 0,05 % en mai 2025.  

 

Le déclin significatif du nombre d’entreprises et d’emplois directement attribuables à la ZFID, particulièrement après 2008 et bien avant la crise de l’expiration de la loi en 2016, indique une diminution notable de sa contribution économique directe. Cette tendance suggère que la ZFID, bien qu’ayant été un fleuron initial, a vu son rôle de « moteur économique » s’estomper. Cette situation est exacerbée par le fait que les infrastructures de la ZFID, notamment le système d’assainissement à ciel ouvert, semblent dépassées par rapport aux standards modernes des parcs industriels intégrés. Les défis infrastructurels identifiés dès 1981 semblent persister, ce qui a probablement entravé la compétitivité de la ZFID et sa capacité à attirer des industries à forte valeur ajoutée. Pour que la ZFID retrouve un statut d’« atout gagnant », une refonte complète de ses infrastructures est nécessaire, au-delà des améliorations incrémentales.

 

IV. Défis et Limites Structurelles de la ZFID

 

La Zone Franche Industrielle de Dakar a été confrontée à des défis majeurs, dont le plus critique fut l’expiration de la Loi n° 74-06, son statut fondateur, le 31 décembre 2016. Cette échéance a plongé les entreprises de la zone dans l’incertitude juridique, menaçant directement 7 entreprises et pas moins de 16 000 emplois. Les entreprises se sont retrouvées contraintes de payer des droits de douane et la TVA sur leurs matières premières, une situation qu’elles considéraient comme illégale, leur statut spécial étant de fait révoqué. Cette crise a provoqué des mouvements de protestation, notamment des sit-in organisés par les syndicats de travailleurs, exigeant la prolongation des avantages pour aligner la ZFID sur le statut des Entreprises Franches d’Exportation (EFE). La réaction du gouvernement, par l’intermédiaire du Premier ministre, a été d’exprimer le souhait d’harmoniser les entreprises de la ZFID avec la nouvelle législation sur les zones , mais cette approche réactive a mis en lumière un manque d’anticipation et de cohérence dans la gestion du cadre légal de la zone.  

 

Au-delà de cette crise législative, la ZFID a historiquement souffert de problèmes persistants qui ont entravé sa compétitivité. Dès 1981, des rapports soulignaient des coûts de main-d’œuvre relativement élevés et une productivité plus faible au Sénégal par rapport à d’autres pays en développement, ce qui constituait un désavantage compétitif. Les coûts élevés des transports internationaux (aérien et maritime), le manque de capacité maritime régulière et les transbordements coûteux et longs étaient des problèmes généralisés pour le secteur d’exportation sénégalais, affectant directement les industries de la ZFID. Des difficultés administratives, des formalités douanières prolongées, des frais de déclaration élevés et des obstacles à l’accès aux crédits à court terme ont également été identifiés. Plus récemment, des plaintes ont été formulées concernant la lenteur des réponses des promoteurs/développeurs, la qualité et le coût des services, et l’absence d’un guichet unique, pourtant un atout clé des zones économiques spéciales modernes. Ces problèmes ne sont pas propres à la ZFID, mais reflètent des défis systémiques qui affectent l’ensemble du secteur industriel et exportateur sénégalais.  

 

Les enjeux environnementaux et de sécurité industrielle constituent également des limites structurelles. Bien que le plan d’action actuel de la ZFID mette l’accent sur l’organisation de la sécurité (prévention des risques industriels), de la sûreté (prévention des actes de malveillance) et de la surveillance environnementale (émissions, qualité de l’air, rejets liquides et solides dangereux) , la présence d’un système d’assainissement à ciel ouvert indique des vulnérabilités environnementales persistantes. Plus largement, l’urbanisation non contrôlée de la région de Dakar, la prolifération de quartiers « spontanés » et les problèmes liés aux transports publics, à l’assainissement et au logement social créent un environnement complexe pour les activités industrielles. La pollution issue d’autres activités industrielles, comme les cimenteries dans la région de Dakar, est également une préoccupation majeure.  

 

Enfin, la ZFID fait face à une concurrence accrue de la part de nouvelles zones économiques spéciales (ZES) et plateformes industrielles développées dans le cadre de la stratégie nationale du Sénégal. La Plateforme Industrielle Intégrée de Diamniadio (P2ID), située à 40 km de Dakar, en est un exemple phare. Ce nouveau pôle, qui s’inscrit dans le Plan Sénégal Émergent (PSE), vise une transformation économique structurelle et une création massive d’emplois, avec des objectifs de 4 500 emplois dans un premier temps et 23 000 emplois à terme. Diamniadio bénéficie d’infrastructures modernes, de taux d’occupation élevés et attire activement les investisseurs locaux et étrangers. En comparaison, la ZFID était caractérisée par une « faible » dynamique de développement en 2015 , et sa contribution à la création de nouveaux emplois en 2023 était marginale. Les nouvelles ZES sont délibérément implantées dans le triangle Dakar-Thiès-Mbour, des zones déjà développées, pour attirer les IDE, créer des emplois et générer de la valeur ajoutée.  

 

La crise de l’expiration légale en 2016 a mis en lumière une vulnérabilité critique et une incohérence potentielle dans la politique sénégalaise. Elle a transformé un actif historique en un fardeau, menaçant des emplois existants et contredisant l’objectif même d’une zone franche en imposant des droits de douane et la TVA. Cet événement souligne l’importance cruciale de cadres juridiques clairs, stables et prospectifs pour les zones économiques, car leur absence peut rapidement éroder leur statut d’« atout gagnant » et engendrer de graves répercussions économiques et sociales.

Par ailleurs, la persistance de problèmes tels que les coûts de transport élevés, les lourdeurs administratives et les défis de productivité de la main-d’œuvre, documentés depuis 1981 et encore présents dans les plaintes plus récentes, suggère que ces difficultés ne sont pas spécifiques à la ZFID, mais sont des défis systémiques qui affectent la compétitivité industrielle et exportatrice du Sénégal dans son ensemble. Les incitations fiscales, bien que généreuses, ne peuvent à elles seules compenser ces inefficacités structurelles plus profondes. Cela signifie que pour qu’une zone industrielle au Sénégal soit un véritable « atout gagnant », des réformes nationales complètes sont nécessaires, au-delà des mesures incitatives localisées.

Enfin, l’émergence et le développement rapide de plateformes industrielles modernes et intégrées comme Diamniadio, qui s’alignent sur le plan de développement national actuel, ont largement supplanté la ZFID en tant que principal pôle d’attraction pour les investissements. La ZFID, avec sa dynamique de développement « faible » et sa faible génération de nouveaux emplois, est devenue moins pertinente dans la stratégie nationale. Cela indique que la ZFID fait face à un défi significatif de pertinence et de concurrence, et que son avenir doit être repensé dans ce nouveau paysage industriel multipolaire. Sans une stratégie claire de modernisation et de spécialisation, la ZFID risque de devenir une relique industrielle marginalisée.

 

V. Perspectives et Rôle de la ZFID dans la Vision du Sénégal Émergent

 

Face aux défis et à l’évolution du paysage industriel sénégalais, la ZFID doit trouver sa place dans la vision du Sénégal Émergent. Des stratégies de modernisation et de réhabilitation de la ZFID existante sont en cours. Le plan d’action actuel de la ZFID se concentre sur l’amélioration de la sécurité, de l’assainissement et de la gestion environnementale, avec des mesures concrètes telles que la réhabilitation des bouches d’incendie, l’amélioration du drainage avec des canaux fermés et des stations de pompage, et une meilleure gestion des déchets. Plus largement, Dakar s’engage dans la modernisation de ses infrastructures pour accompagner sa croissance urbaine rapide, améliorer la mobilité et les services publics. Le Plan Stratégique 2024-2028 de l’APIX vise à renforcer le rôle du secteur privé dans la transformation économique, avec des objectifs clairs de création d’emplois, de sécurité alimentaire et pharmaceutique, et de développement d’une industrie compétitive à l’horizon 2035. Ce plan insiste sur l’amélioration de l’environnement des affaires, le développement des réseaux d’infrastructures et la promotion de l’investissement privé.  

 

La complémentarité et la synergie avec les nouvelles infrastructures et pôles de développement sont essentielles. Le Plan Sénégal Émergent (PSE) ambitionne un développement global à l’horizon 2035, axé sur la transformation structurelle de l’économie et l’augmentation de la capacité manufacturière. Des projets phares comme le port industriel de Ndayane et l’expansion du parc industriel intégré de Diamniadio sont au cœur de cette vision. Bien que la ZFID ne soit pas explicitement mentionnée comme un pôle de croissance primaire dans les documents stratégiques récents, la stratégie globale des « Zones Aménagées pour l’Investissement (ZAI) » vise à décentraliser le développement économique au-delà de la seule région de Dakar. Les ateliers de l’APIX dédiés aux Zones Économiques Spéciales témoignent d’un intérêt continu pour ces types de zones.  

 

Le rôle de l’APIX et des Partenariats Public-Privé (PPP) est central dans l’attraction des investissements. L’APIX, en tant qu’agence nationale de promotion des investissements et des grands travaux, est chargée de faciliter les procédures administratives pour les investisseurs, avec un délai de 30 jours pour l’instruction des demandes d’agrément, au-delà duquel l’approbation est réputée accordée. Son plan stratégique vise à attirer les investissements privés nationaux et locaux en offrant un environnement des affaires optimal et des infrastructures de qualité. Les PPP sont considérés comme des instruments stratégiques pour le cofinancement d’infrastructures lourdes, l’accélération administrative via des guichets uniques et la mutualisation des risques entre acteurs publics et privés. La deuxième phase du parc de Diamniadio, par exemple, est développée selon un modèle PPP avec EximBank China.  

 

Les orientations futures du Sénégal mettent l’accent sur la diversification sectorielle, la souveraineté économique et le positionnement régional. La stratégie d’industrialisation du Sénégal (2021-2035) vise une « industrie compétitive, portée par un secteur privé national fort, contribuant au développement inclusif et durable ». Elle priorise des secteurs clés pour la souveraineté nationale, tels que les produits pharmaceutiques, la santé et l’alimentation, et met l’accent sur la réduction du déficit commercial et la promotion de la substitution aux importations. La ZFID, avec ses industries alimentaires, chimiques, de confection et d’hydrocarbures , peut potentiellement s’inscrire dans cette dynamique. Le développement de nouveaux parcs industriels vise à positionner le Sénégal comme un hub industriel et logistique pour l’Afrique de l’Ouest.  

 

Compte tenu du virage stratégique vers de nouveaux parcs industriels intégrés et du déclin de la contribution directe de la ZFID, il est peu probable que cette dernière retrouve son statut d’« atout gagnant » principal pour les nouveaux investissements directs étrangers de grande envergure. Cependant, les efforts de réhabilitation en cours et le maintien de la ZFID dans le mandat de l’APIX suggèrent qu’elle ne sera pas abandonnée. Les investissements dans la sécurité, la sûreté et l’assainissement visent à maintenir des standards opérationnels de base. L’avenir de la ZFID en tant qu’« atout gagnant » réside désormais dans une réorientation stratégique, potentiellement axée sur le soutien aux entreprises existantes, le développement de niches industrielles spécifiques (comme les PME locales, les industries de substitution aux importations, ou des chaînes de valeur spécifiques tirant parti de sa proximité avec le port de Dakar), ou en servant de modèle de réhabilitation pour d’autres zones industrielles plus anciennes. Cela nécessiterait des investissements ciblés dans ses infrastructures vieillissantes et une définition claire de son rôle complémentaire au sein du nouvel écosystème industriel sénégalais.

La transition de la ZFID, une zone géographiquement circonscrite, vers le statut EFE et le développement de nouvelles plateformes industrielles, révèle une évolution plus large de l’approche du Sénégal en matière d’attraction des investissements. L’« atout gagnant » n’est plus uniquement la localisation physique (la ZFID), mais plutôt le cadre politique global (statut EFE, législation des ZES) et les infrastructures modernes et spécialement conçues des nouveaux parcs. Le rôle de l’APIX dans la facilitation des investissements à travers tous ces cadres et l’importance accordée aux PPP renforcent cette observation. Cela implique que la signification historique de la ZFID réside dans son rôle de pionnière, ayant ouvert la voie à des modèles plus avancés. Sa valeur actuelle dépend de sa capacité à s’adapter à ce nouveau paradigme et à trouver sa place dans une politique industrielle nationale plus sophistiquée et diversifiée.

 

VI. Conclusion et Recommandations Stratégiques

 

La Zone Franche Industrielle de Dakar (ZFID) a été une initiative pionnière pour le Sénégal, établie en 1974 avec des objectifs ambitieux de création d’emplois, de transferts de technologie et de promotion des exportations. Elle a représenté, à son époque, un « atout gagnant » significatif pour le développement industriel du pays. Cependant, l’introduction du statut d’Entreprise Franche d’Exportation (EFE) en 1996 a marqué un tournant, plafonnant de fait la croissance de la ZFID en interdisant de nouvelles implantations et en généralisant les avantages fiscaux et douaniers à l’échelle nationale. Cette décision a conduit à un déclin progressif du nombre d’entreprises et d’emplois directs au sein de la zone physique, transformant son rôle de moteur principal d’investissement.

La crise de 2016, liée à l’expiration de sa loi fondatrice, a mis en lumière des vulnérabilités administratives et légales, menaçant des milliers d’emplois et soulignant la nécessité d’une plus grande clarté et stabilité réglementaire. Les infrastructures de la ZFID, bien que faisant l’objet d’efforts de réhabilitation, accusent un retard par rapport aux standards des parcs industriels intégrés plus récents, tels que Diamniadio, qui sont désormais au cœur de la stratégie de développement industriel du Sénégal. La ZFID est passée d’un statut d’attraction principale des IDE à celui de zone patrimoniale, dont la valeur réside désormais dans sa capacité à se réinventer et à s’intégrer dans un écosystème industriel national plus diversifié.

Pour renforcer la compétitivité de la ZFID et maximiser ses retombées économiques et sociales, les recommandations stratégiques suivantes sont formulées :

  • Modernisation Ciblé des Infrastructures : Il est impératif de mettre en œuvre un plan de modernisation complet des infrastructures essentielles de la ZFID, notamment l’assainissement, les réseaux énergétiques et les plateformes logistiques. Ces améliorations doivent viser à atteindre les standards industriels contemporains, allant au-delà de la simple maintenance pour assurer une compétitivité durable.

  • Spécialisation de Niche : Une réévaluation et une redéfinition claires d’une niche ou d’une spécialisation pour la ZFID sont nécessaires. Cela pourrait impliquer de se concentrer sur le soutien aux petites et moyennes entreprises (PME) locales, de promouvoir les industries de substitution aux importations, ou de développer des chaînes de valeur spécifiques qui tirent parti de sa localisation existante et de sa proximité avec le port de Dakar.

  • Clarté et Stabilité Légale : Il est crucial d’assurer un cadre juridique clair, stable et à long terme pour les entreprises encore présentes dans la ZFID. Les leçons de la crise de 2016 doivent servir à mettre en place des règles de transition transparentes et à intégrer pleinement ces entreprises dans les cadres juridiques existants, tels que le statut EFE ou les nouvelles législations sur les ZES.

  • Renforcement des Liaisons en Amont et en Aval : Des mesures proactives doivent être prises pour promouvoir les liaisons entre les entreprises de la ZFID et le reste de l’économie sénégalaise. Cela permettra de surmonter l’isolement industriel historique et de maximiser la valorisation des ressources nationales et les retombées pour le tissu économique local.

  • Partenariats Public-Privé pour la Réhabilitation : L’État devrait mobiliser les Partenariats Public-Privé (PPP) pour financer et mettre en œuvre la réhabilitation et la modernisation complètes de la ZFID. Ce modèle, déjà utilisé avec succès pour des projets comme Diamniadio, peut attirer les capitaux et l’expertise nécessaires.

  • Simplification Administrative : La mise en place d’un « guichet unique » dédié au sein de l’administration de la ZFID est essentielle pour réduire les lourdeurs administratives et les délais pour les entreprises existantes, en s’inspirant des meilleures pratiques des zones industrielles plus récentes.

  • Développement des Compétences de la Main-d’œuvre : Des programmes de formation ciblés doivent être mis en place pour améliorer les compétences de la main-d’œuvre locale au sein de la ZFID. Cela permettra de répondre aux défis historiques liés au faible niveau de qualification et de favoriser l’absorption technologique.

  • Conformité Environnementale Rigoureuse : La priorité doit être donnée à l’application et au respect de normes environnementales strictes. Il est impératif de s’assurer que les activités industrielles au sein de la ZFID sont durables et ne contribuent pas à la pollution de la région de Dakar, garantissant ainsi un développement responsable.

En adoptant ces recommandations, le Sénégal pourrait transformer la ZFID d’un actif historique en mutation en un élément complémentaire et pertinent de sa stratégie industrielle globale, contribuant ainsi de manière renouvelée à l’émergence économique du pays.

 


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