I. Introduction : La ZFID au Cœur de la Stratégie Industrielle Sénégalaise
La Zone Franche Industrielle de Dakar (ZFID), située à Mbao, à environ 15 kilomètres à l’est de la capitale sénégalaise, a été inaugurée en mars 1976.
À l’échelle mondiale, les zones franches industrielles ont proliféré depuis les années 1980, souvent en réponse à la tendance de délocalisation de la production industrielle.
Ce rapport a pour objectif d’évaluer de manière exhaustive le rôle historique et actuel de la ZFID, d’analyser ses contributions économiques, les défis auxquels elle est confrontée, et ses perspectives d’avenir au sein du paysage industriel sénégalais en constante évolution, notamment face à l’émergence de nouvelles zones économiques. L’analyse cherchera à déterminer si la ZFID a véritablement été un « atout gagnant » pour le Sénégal et quelles sont les implications de son parcours pour les stratégies de développement futur du pays.
II. Genèse et Évolution Législative de la ZFID
La Zone Franche Industrielle de Dakar a été officiellement créée par la Loi n° 74-06 du 22 avril 1974, qui a établi son statut juridique.
Les objectifs fondateurs de la ZFID, tels qu’identifiés par une mission conjointe de l’ONUDI et de la CNUCED en 1981, étaient multiples et ambitieux. Le premier objectif était la création d’emplois massifs, un but classique pour les zones franches dans les pays en développement, visant à absorber le chômage et à améliorer la qualification professionnelle et technologique de la main-d’œuvre.
transferts de technologie en attirant des industries sophistiquées.
valorisation des ressources nationales, une ambition interprétée au sens large pour inclure le développement de liaisons en aval entre les industries de la zone et le secteur industriel et des services hors de la zone.
rentabilité cherchait à élargir les moyens financiers mis à la disposition de la Zone et à assurer sa viabilité économique.
Des modifications législatives importantes ont jalonné l’histoire de la ZFID. La Loi n° 1993/25 du 2 septembre 1993 a complété l’article 2 de la Loi n° 89-32 du 12 octobre 1989, modifiant ainsi la loi originale de 1974.
Le statut EFE a introduit une flexibilité significative : il permettait aux entreprises éligibles, orientées vers l’exportation (avec un potentiel d’exportation d’au moins 80 % de leur chiffre d’affaires), de bénéficier d’avantages similaires à ceux de la zone franche, mais n’importe où sur le territoire national, et non plus uniquement au sein de la ZFID.
Le Décret n° 96-869 a eu une conséquence directe et majeure sur la ZFID : depuis 1996, aucune nouvelle entreprise n’a pu s’installer dans la zone.
Le tableau ci-dessous récapitule les principales évolutions législatives affectant la ZFID :
Table 1: Chronologie des Lois et Décrets Clés Affectant la ZFID (1974-Présent)
III. Bilan Opérationnel et Contribution Économique de la ZFID
L’état des infrastructures et des services au sein de la ZFID présente un tableau contrasté. La zone dispose d’un système d’assainissement comprenant un réseau à ciel ouvert pour les eaux pluviales et un système souterrain.
Historiquement, la ZFID a accueilli diverses entreprises. En 2002, 18 entreprises y étaient installées, générant plus de 6 230 emplois.
L’évolution de l’emploi et du nombre d’entreprises au sein de la ZFID révèle une dynamique de déclin progressif. Alors qu’en 2008, environ 180 entreprises étaient recensées, employant près de 8 000 personnes
Le tableau ci-dessous illustre cette évolution :
Table 2: Évolution du Nombre d’Entreprises et d’Emplois à la ZFID (Sélection d’Années Clés)
Année | Nombre d’Entreprises | Nombre d’Emplois | Notes |
2002 | 18 | > 6 230 |
Entreprises installées
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2008 | ~180 | ~8 000 |
Entreprises « concernées » et employés
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2015 | 15 | 900 |
Entreprises implantées et emplois permanents
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2017 | 7 (à risque) | 16 000 (en péril) |
Menace de fermeture suite à l’expiration de la loi
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2023 | N/A | 46 (emplois générés par nouvelles ouvertures) |
Très faible contribution à la création d’emplois par de nouveaux établissements
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Les entreprises agréées dans la ZFID ont initialement bénéficié d’incitations à l’investissement et à l’exportation jugées « extrêmement avantageuses », surpassant celles offertes dans d’autres zones franches de pays en développement.
Le tableau comparatif suivant met en lumière les différences entre les régimes d’incitation :
Table 3: Comparatif des Incitations Fiscales et Douanières (ZFID vs. Statut EFE)
Catégorie d’Incentif | Régime ZFID (initial) | Statut EFE (post-1996) |
Impôt sur les Sociétés |
Non spécifié, mais « extrêmement avantageux »
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15% (contre 25% en régime commun)
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Droits de Douane |
Franchise de droits sur intrants
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Franchise de douane à l’import et à l’export
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Taxe Professionnelle | Non spécifié |
Exonération
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Taxe Foncière | Non spécifié |
Exonération
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Impôt sur les Dividendes | Non spécifié |
Exonération
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TVA | Non spécifié |
Suspension à l’importation, paiement différé
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Durée des Avantages | Non spécifié |
25 ans renouvelable
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Localisation |
Confiné à la ZFID de Mbao
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Partout sur le territoire national
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La contribution spécifique de la ZFID au PIB national ou aux exportations sénégalaises n’est pas clairement quantifiée dans les données récentes disponibles. Cependant, l’économie sénégalaise dans son ensemble a enregistré une croissance du PIB réel estimée à 4,3 % en 2023, avec des prévisions de croissance soutenue d’environ 6 % en 2025, portée par l’énergie (notamment le démarrage de la production d’hydrocarbures), la logistique industrielle et la demande immobilière croissante.
Le déclin significatif du nombre d’entreprises et d’emplois directement attribuables à la ZFID, particulièrement après 2008 et bien avant la crise de l’expiration de la loi en 2016, indique une diminution notable de sa contribution économique directe. Cette tendance suggère que la ZFID, bien qu’ayant été un fleuron initial, a vu son rôle de « moteur économique » s’estomper. Cette situation est exacerbée par le fait que les infrastructures de la ZFID, notamment le système d’assainissement à ciel ouvert, semblent dépassées par rapport aux standards modernes des parcs industriels intégrés. Les défis infrastructurels identifiés dès 1981 semblent persister, ce qui a probablement entravé la compétitivité de la ZFID et sa capacité à attirer des industries à forte valeur ajoutée. Pour que la ZFID retrouve un statut d’« atout gagnant », une refonte complète de ses infrastructures est nécessaire, au-delà des améliorations incrémentales.
IV. Défis et Limites Structurelles de la ZFID
La Zone Franche Industrielle de Dakar a été confrontée à des défis majeurs, dont le plus critique fut l’expiration de la Loi n° 74-06, son statut fondateur, le 31 décembre 2016.
Au-delà de cette crise législative, la ZFID a historiquement souffert de problèmes persistants qui ont entravé sa compétitivité. Dès 1981, des rapports soulignaient des coûts de main-d’œuvre relativement élevés et une productivité plus faible au Sénégal par rapport à d’autres pays en développement, ce qui constituait un désavantage compétitif.
Les enjeux environnementaux et de sécurité industrielle constituent également des limites structurelles. Bien que le plan d’action actuel de la ZFID mette l’accent sur l’organisation de la sécurité (prévention des risques industriels), de la sûreté (prévention des actes de malveillance) et de la surveillance environnementale (émissions, qualité de l’air, rejets liquides et solides dangereux)
Enfin, la ZFID fait face à une concurrence accrue de la part de nouvelles zones économiques spéciales (ZES) et plateformes industrielles développées dans le cadre de la stratégie nationale du Sénégal. La Plateforme Industrielle Intégrée de Diamniadio (P2ID), située à 40 km de Dakar, en est un exemple phare.
La crise de l’expiration légale en 2016 a mis en lumière une vulnérabilité critique et une incohérence potentielle dans la politique sénégalaise. Elle a transformé un actif historique en un fardeau, menaçant des emplois existants et contredisant l’objectif même d’une zone franche en imposant des droits de douane et la TVA. Cet événement souligne l’importance cruciale de cadres juridiques clairs, stables et prospectifs pour les zones économiques, car leur absence peut rapidement éroder leur statut d’« atout gagnant » et engendrer de graves répercussions économiques et sociales.
Par ailleurs, la persistance de problèmes tels que les coûts de transport élevés, les lourdeurs administratives et les défis de productivité de la main-d’œuvre, documentés depuis 1981 et encore présents dans les plaintes plus récentes, suggère que ces difficultés ne sont pas spécifiques à la ZFID, mais sont des défis systémiques qui affectent la compétitivité industrielle et exportatrice du Sénégal dans son ensemble. Les incitations fiscales, bien que généreuses, ne peuvent à elles seules compenser ces inefficacités structurelles plus profondes. Cela signifie que pour qu’une zone industrielle au Sénégal soit un véritable « atout gagnant », des réformes nationales complètes sont nécessaires, au-delà des mesures incitatives localisées.
Enfin, l’émergence et le développement rapide de plateformes industrielles modernes et intégrées comme Diamniadio, qui s’alignent sur le plan de développement national actuel, ont largement supplanté la ZFID en tant que principal pôle d’attraction pour les investissements. La ZFID, avec sa dynamique de développement « faible » et sa faible génération de nouveaux emplois, est devenue moins pertinente dans la stratégie nationale. Cela indique que la ZFID fait face à un défi significatif de pertinence et de concurrence, et que son avenir doit être repensé dans ce nouveau paysage industriel multipolaire. Sans une stratégie claire de modernisation et de spécialisation, la ZFID risque de devenir une relique industrielle marginalisée.
V. Perspectives et Rôle de la ZFID dans la Vision du Sénégal Émergent
Face aux défis et à l’évolution du paysage industriel sénégalais, la ZFID doit trouver sa place dans la vision du Sénégal Émergent. Des stratégies de modernisation et de réhabilitation de la ZFID existante sont en cours. Le plan d’action actuel de la ZFID se concentre sur l’amélioration de la sécurité, de l’assainissement et de la gestion environnementale, avec des mesures concrètes telles que la réhabilitation des bouches d’incendie, l’amélioration du drainage avec des canaux fermés et des stations de pompage, et une meilleure gestion des déchets.
La complémentarité et la synergie avec les nouvelles infrastructures et pôles de développement sont essentielles. Le Plan Sénégal Émergent (PSE) ambitionne un développement global à l’horizon 2035, axé sur la transformation structurelle de l’économie et l’augmentation de la capacité manufacturière.
Le rôle de l’APIX et des Partenariats Public-Privé (PPP) est central dans l’attraction des investissements. L’APIX, en tant qu’agence nationale de promotion des investissements et des grands travaux, est chargée de faciliter les procédures administratives pour les investisseurs, avec un délai de 30 jours pour l’instruction des demandes d’agrément, au-delà duquel l’approbation est réputée accordée.
Les orientations futures du Sénégal mettent l’accent sur la diversification sectorielle, la souveraineté économique et le positionnement régional. La stratégie d’industrialisation du Sénégal (2021-2035) vise une « industrie compétitive, portée par un secteur privé national fort, contribuant au développement inclusif et durable ».
Compte tenu du virage stratégique vers de nouveaux parcs industriels intégrés et du déclin de la contribution directe de la ZFID, il est peu probable que cette dernière retrouve son statut d’« atout gagnant » principal pour les nouveaux investissements directs étrangers de grande envergure. Cependant, les efforts de réhabilitation en cours et le maintien de la ZFID dans le mandat de l’APIX suggèrent qu’elle ne sera pas abandonnée. Les investissements dans la sécurité, la sûreté et l’assainissement visent à maintenir des standards opérationnels de base. L’avenir de la ZFID en tant qu’« atout gagnant » réside désormais dans une réorientation stratégique, potentiellement axée sur le soutien aux entreprises existantes, le développement de niches industrielles spécifiques (comme les PME locales, les industries de substitution aux importations, ou des chaînes de valeur spécifiques tirant parti de sa proximité avec le port de Dakar), ou en servant de modèle de réhabilitation pour d’autres zones industrielles plus anciennes. Cela nécessiterait des investissements ciblés dans ses infrastructures vieillissantes et une définition claire de son rôle complémentaire au sein du nouvel écosystème industriel sénégalais.
La transition de la ZFID, une zone géographiquement circonscrite, vers le statut EFE et le développement de nouvelles plateformes industrielles, révèle une évolution plus large de l’approche du Sénégal en matière d’attraction des investissements. L’« atout gagnant » n’est plus uniquement la localisation physique (la ZFID), mais plutôt le cadre politique global (statut EFE, législation des ZES) et les infrastructures modernes et spécialement conçues des nouveaux parcs. Le rôle de l’APIX dans la facilitation des investissements à travers tous ces cadres et l’importance accordée aux PPP renforcent cette observation. Cela implique que la signification historique de la ZFID réside dans son rôle de pionnière, ayant ouvert la voie à des modèles plus avancés. Sa valeur actuelle dépend de sa capacité à s’adapter à ce nouveau paradigme et à trouver sa place dans une politique industrielle nationale plus sophistiquée et diversifiée.
VI. Conclusion et Recommandations Stratégiques
La Zone Franche Industrielle de Dakar (ZFID) a été une initiative pionnière pour le Sénégal, établie en 1974 avec des objectifs ambitieux de création d’emplois, de transferts de technologie et de promotion des exportations. Elle a représenté, à son époque, un « atout gagnant » significatif pour le développement industriel du pays. Cependant, l’introduction du statut d’Entreprise Franche d’Exportation (EFE) en 1996 a marqué un tournant, plafonnant de fait la croissance de la ZFID en interdisant de nouvelles implantations et en généralisant les avantages fiscaux et douaniers à l’échelle nationale. Cette décision a conduit à un déclin progressif du nombre d’entreprises et d’emplois directs au sein de la zone physique, transformant son rôle de moteur principal d’investissement.
La crise de 2016, liée à l’expiration de sa loi fondatrice, a mis en lumière des vulnérabilités administratives et légales, menaçant des milliers d’emplois et soulignant la nécessité d’une plus grande clarté et stabilité réglementaire. Les infrastructures de la ZFID, bien que faisant l’objet d’efforts de réhabilitation, accusent un retard par rapport aux standards des parcs industriels intégrés plus récents, tels que Diamniadio, qui sont désormais au cœur de la stratégie de développement industriel du Sénégal. La ZFID est passée d’un statut d’attraction principale des IDE à celui de zone patrimoniale, dont la valeur réside désormais dans sa capacité à se réinventer et à s’intégrer dans un écosystème industriel national plus diversifié.
Pour renforcer la compétitivité de la ZFID et maximiser ses retombées économiques et sociales, les recommandations stratégiques suivantes sont formulées :
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Modernisation Ciblé des Infrastructures : Il est impératif de mettre en œuvre un plan de modernisation complet des infrastructures essentielles de la ZFID, notamment l’assainissement, les réseaux énergétiques et les plateformes logistiques. Ces améliorations doivent viser à atteindre les standards industriels contemporains, allant au-delà de la simple maintenance pour assurer une compétitivité durable.
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Spécialisation de Niche : Une réévaluation et une redéfinition claires d’une niche ou d’une spécialisation pour la ZFID sont nécessaires. Cela pourrait impliquer de se concentrer sur le soutien aux petites et moyennes entreprises (PME) locales, de promouvoir les industries de substitution aux importations, ou de développer des chaînes de valeur spécifiques qui tirent parti de sa localisation existante et de sa proximité avec le port de Dakar.
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Clarté et Stabilité Légale : Il est crucial d’assurer un cadre juridique clair, stable et à long terme pour les entreprises encore présentes dans la ZFID. Les leçons de la crise de 2016 doivent servir à mettre en place des règles de transition transparentes et à intégrer pleinement ces entreprises dans les cadres juridiques existants, tels que le statut EFE ou les nouvelles législations sur les ZES.
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Renforcement des Liaisons en Amont et en Aval : Des mesures proactives doivent être prises pour promouvoir les liaisons entre les entreprises de la ZFID et le reste de l’économie sénégalaise. Cela permettra de surmonter l’isolement industriel historique et de maximiser la valorisation des ressources nationales et les retombées pour le tissu économique local.
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Partenariats Public-Privé pour la Réhabilitation : L’État devrait mobiliser les Partenariats Public-Privé (PPP) pour financer et mettre en œuvre la réhabilitation et la modernisation complètes de la ZFID. Ce modèle, déjà utilisé avec succès pour des projets comme Diamniadio, peut attirer les capitaux et l’expertise nécessaires.
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Simplification Administrative : La mise en place d’un « guichet unique » dédié au sein de l’administration de la ZFID est essentielle pour réduire les lourdeurs administratives et les délais pour les entreprises existantes, en s’inspirant des meilleures pratiques des zones industrielles plus récentes.
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Développement des Compétences de la Main-d’œuvre : Des programmes de formation ciblés doivent être mis en place pour améliorer les compétences de la main-d’œuvre locale au sein de la ZFID. Cela permettra de répondre aux défis historiques liés au faible niveau de qualification et de favoriser l’absorption technologique.
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Conformité Environnementale Rigoureuse : La priorité doit être donnée à l’application et au respect de normes environnementales strictes. Il est impératif de s’assurer que les activités industrielles au sein de la ZFID sont durables et ne contribuent pas à la pollution de la région de Dakar, garantissant ainsi un développement responsable.
En adoptant ces recommandations, le Sénégal pourrait transformer la ZFID d’un actif historique en mutation en un élément complémentaire et pertinent de sa stratégie industrielle globale, contribuant ainsi de manière renouvelée à l’émergence économique du pays.