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La Fin de la Françafrique ? Anatomie d’une rupture au Sahel

Le départ des ambassadeurs, la fin des opérations militaires, le rejet du discours officiel… Jamais depuis les indépendances, la relation entre la France et ses anciennes colonies n’avait paru si fragile. Analyse d’un divorce historique.

Le terme « Françafrique », longtemps synonyme de réseaux d’influence opaques et de relations paternalistes, n’a jamais été aussi publiquement conspué. Ce qui était autrefois une critique portée par des intellectuels et des activistes est devenu un cri de ralliement pour une jeunesse ouest-africaine qui exige une souveraineté pleine et entière. La France, prise au dépourvu, assiste à un effondrement de son influence, particulièrement visible au cœur du Sahel.

 

 

Le Symbole : Le départ des soldats français

Rien ne matérialise mieux cette rupture que le retrait des forces françaises. L’opération Barkhane, qui a mobilisé plus de 5000 soldats au plus fort de son déploiement, a pris fin sans avoir réussi à éradiquer la menace djihadiste. Pour beaucoup de citoyens des pays concernés, cet échec sécuritaire s’est mué en suspicion, puis en rejet.

Le départ contraint des troupes françaises du Mali, du Burkina Faso et du Niger entre 2022 et 2024 n’est pas une simple réorganisation stratégique. C’est un acte politique d’une portée immense, signifiant la fin d’une ère où la France était le gendarme de facto de la région.

Mali : L’épicentre de la rupture

Le cas du Mali est emblématique. La junte militaire arrivée au pouvoir en 2020, dirigée par le Colonel Assimi Goïta, a fait de la rupture avec Paris le pilier de sa doctrine. Le discours officiel malien dénonce une France qui aurait « échoué » et « joué un double jeu ». Paris, de son côté, critique un régime qui a fait le choix de s’allier avec les mercenaires russes d’Africa Corps (ex-Wagner).

L’escalade a été rapide : expulsion de l’ambassadeur de France, fin des accords de défense, et accusations mutuelles devant les Nations Unies. Le Mali a servi de modèle à ses voisins burkinabè et nigérien, qui ont reproduit ce schéma de rupture, créant un nouveau bloc (l’AES) ouvertement hostile à l’influence française.

Sénégal : La « redéfinition » sous conditions

À Dakar, la situation est infiniment plus nuancée mais tout aussi révélatrice. L’élection de Bassirou Diomaye Faye en mars 2024 a porté au pouvoir une génération qui parle de « panafricanisme de gauche » et de « souveraineté ». Le nouveau gouvernement ne prône pas la rupture, mais une « redéfinition » des relations.

Le langage est crucial. On ne parle plus d’accords de défense, mais de « partenariats ». La présence militaire française est en cours de « restructuration » pour devenir plus discrète. Le Sénégal de Faye veut revoir les contrats commerciaux et monétaires (la question du Franc CFA est centrale), mais sans le divorce fracassant du Mali. C’est une manière de dire : « nous sommes des alliés, plus des protégés ». La relation est maintenue, mais le rapport de force a changé.

Guinée : La distance pragmatique

La Guinée, sous la junte du Colonel Mamady Doumbouya, a une position encore différente. N’étant pas membre de la zone Franc CFA et n’ayant pas eu d’opération militaire française majeure sur son sol, sa relation avec Paris est historiquement moins fusionnelle. La junte guinéenne n’a pas fait du sentiment anti-français son principal cheval de bataille. Elle maintient une distance pragmatique, collaborant là où elle y trouve son intérêt (notamment économique) et ignorant Paris quand ses intérêts la portent vers la Chine ou la Russie pour ses projets miniers. C’est moins une rupture qu’une indifférence calculée.

Conclusion : De la fin d’UN système à une relation à réinventer

La « Françafrique » en tant que système de domination post-coloniale occulte est sans doute moribonde, tuée par l’aspiration à la souveraineté d’une nouvelle génération et par l’arrivée de nouveaux acteurs mondiaux. Pour la France, la fin de cette ère n’implique pas la fin de sa relation avec le continent, mais l’obligation de la réinventer entièrement.

L’enjeu pour Paris est de passer d’un statut de puissance tutélaire à celui de partenaire parmi d’autres, respectueux et conscient que le destin de l’Afrique de l’Ouest s’écrit désormais, avant tout, à Dakar, Bamako ou Conakry.

 


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